Pour tout film, et bien plus encore pour un film sur un événement comme le 11 septembre dont chaque citoyen de la Terre a déjà vu des heures et des heures d'images, la question qui se pose est : pourquoi l'avoir réalisé ? Autant le film collectif "11'09"01" permettait de voir des regards croisés venant du monde entier sur cet événement (et accessoirement de faire un état des lieux du cinéma contemporain), autant "Vol 93" montrait l'impréparation des Etats-Unis et le parallélisme du destin des bourreaux et des victimes, autant il est dur de trouver une réponse à cette question pour "World Trade Center".
Oliver Stone explique qu'il a voulu rendre hommage à des gens simples et à leur héroïsme tranquille. Soit. Pourquoi pas. Mais cet objectif, finalement assez proche de celui de Paul Greengrass, il le poursuit en usant et abusant de toute la grosse quincaillerie du cinéma, et particulièrement du cinéma américain : ralenti, fondu au noir quand c'est triste, fondu au blanc quand c'est gai, musique pompière (c'est de circonstance...) pour bien ponctuer l'émotion ; même chose au niveau du scénario : le drame qui réveille les déchirures familiales, le marines entre deux guerres qui réussit à déjouer les cordons de sécurité pour aller se ballader sur les ruines fumantes et trouver les deux rescapés, le paramedic sans diplôme qui est le premier à soigner Will, le survivant qui s'en veut parce que si Dom n'avait pas pris sa place pour pousser le charriot, et ben, il ne serait pas survivant !
Alors, rendons grâce à Oliver Stone de ne pas s'être complu dans des bannières étoilées flottant au ralenti, des God bless America ou des funérailles grandioses ; si on peut éprouver une certaine gêne de l'esthétisation et donc de l'édulcorisation des images imprimées dans la mémoire de chacun (les papiers flottants dans le ciel de Manhattan, la cendre recouvrant tout, les carcasses de Ground Zero, les murs couverts des portraits des disparus), la litote employée pour représenter les impacts (l'ombre furtive d'un avion, le bruit et la secousse perçus dans un bureau) est bienvenue, et comme dans tout film catastophe, le meilleur, c'est ce qui précéde le cataclysme.
Et puis, nos deux héros sont ensevelis au bout d'une demi-heure, et il reste une heure et demi de huis clos rupestre à tirer. Il y a bien un montage parallèle pour nous montrer l'angoisse des familles, mais le gros de l'action, ou plutôt de l'inaction, se passe dans la pénombre à peine éclairée par quelques météorites échappés d'Armageddon, avec champ/contrechamp sur les rictus des deux agonisants qui échangent des poncifs entre deux râles ; et ce ne sont pas les apparitions sulpiciennes de Jésus transformé en Saint-Bernard ni celle de la femme de John qui lui demande de se bouger le cul pour rentrer à la maison, il y a la cuisine à terminer, qui sauvent l'ensemble de l'ennui et du ridicule.
A vouloir trop jouer avec la mythologie américaine, à ne jamais parler des causes pour ne s'attacher qu'à un effet infinitésimal, Oliver Stone a perdu à la fois son savoir-faire cinématographique réduits à quelques afféteries, et plus grave, parce que ce n'est pas nouveau, son regard original et contestataire sur son pays et sur la marche du monde.
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