Un gentil maya est enlevé par des méchants mayas qui brûlent son village et emmènent les femmes pour être vendues comme esclaves et les hommes pour être offerts en sacrifice. Grâce à une éclipse providentielle (merci Hergé !), il s'en sort et s'enfuit dans la forêt, poursuivi par les méchants. Difficile de développer davantage le pitch, tant il ne se passe rien d'autre au cours des 138 très longues minutes. Mel Gibson a beau avoir utilisé une caméra Genesis ultraperformante, multiplié les ralentis, monté les scènes de poursuite avec un plan par seconde, tout cela ne meuble pas le vide de l'histoire. Avec "La Passion du Christ", au moins il avait un scénario !
L'intérêt du film doit donc se trouver ailleurs ; Mel Gibson annonce la couleur avec une citation de Will Durant en exergue : "Une civilisation ne peut être conquise de l'extérieur si elle ne commence pas à se détruire de l'intérieur". Justification de la conquista, comme peut le laisser penser l'arrivée miraculeuse des caravelles dont l'apparition sauve le héros ? La peinture des atrocités commises par les méchants mayas trouverait donc un sens : une civilisation aussi barbare et cruelle ne mérite pas de survivre, et hop, voilà justifiés les millions d'amérindiens morts en esclavage ou des maladies importées d'Europe.
Pour permettre l'identification des spectateurs, on nous présente donc des bons sauvages, tout imprégnés de family values : bons pères, bons maris, dotés d'un sens de l'humour digne de l'Arkansas (faire manger des couilles de tapir à un copain stérile, quelle bonne blague !). Leur rôle n'est que de servir de révélateur à la barbarie des méchants sauvages, ceux qui semblent sortis des bas-reliefs mayas -et qui soit dit en passant avaient déjà largement décliné en 1492.
A moins qu'au-delà de ces justifications oiseuses (comme celle du réalisme, qui explique qu'après "La Passion du Christ" tournée en araméen, les dialogues d'"Apocalypto" aient été joués en yucaltèque, une langue d'origine précolombienne), le véritable objet du film soit l'ultaviolence et la complaisance avec laquelle elle est montrée : coeurs arrachées à mains nues, crânes fracassés d'où gicle des geysers de sang, têtes dévalant les escaliers des temples, charniers de corps décapités... Le pire est que ça marche : la salle était pleine, trois abrutis ont applaudi à la fin, et d'autres scandaient chaque explosion d'hémoglobine par un "ouaaaais" approbateur. Après tout, le Colisée jouait à guichets fermés, et on trouvait toujours de bon chrétiens pour tremper leurs mouchoirs dans le sang des guillotinés.
Si vous voulez regarder un film qui parle sans cliché ni simplification bétifiante de la civilisation amérindienne avant sa destruction par les Européens, courez plutôt voir ou revoir "Le Nouveau Monde".
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