Première scène du film : dans un immense hangar, impeccablement alignés, des huiles font face à une immense bannière étoilée. Un orateur présente alors le héros de la cérémonie, le Congressman Charlie Wilson, premier parlementaire à recevoir la médaille des services spéciaux. Standing ovation, traveling latéral en légère contreplongée sur les personnalités qui applaudissent, le regard mouillé, alors que se déchaînent les violons. Vous avez dit déja vu ?
Deuxième scène, deuxième cliché. Début du flash back, Charlie avec un promoteur véreux et des streap-teaseuses dans un jacuzzi, sur fond de Las Vegas la nuit. Ca, c'est pour nous présenter "Good Time Charlie", affublé du début à la fin d'un verre de whisky, des fois qu'on confonde. Charlie et ses drôles de secrétaires parlementaires, toutes féminines et toutes pulpeuses, qui reçoit en costard-cravates-bottes de cowboy un de ses électeurs qui vient se plaindre que deux avocats des droits civiques cherchent à chasser la crèche traditionnelle de la caserne des pompiers de Nacogdoches, 2° circonscription du Texas, dont le représentant est justement Charlie Wilson, démocrate, ce qui semble bien anecdotique (Après tout, Michel Charasse est bien socialiste).
Sommes nous en présence d'un biopic (Charlie Wilson a bien existé, et n'a quitté le Congrès qu'en 1997), d'une comédie ou d'une chronique politique ? Faut-il évoquer "Nixon", "Mr Smith goes to Washington" ou "Tempête à Washington" ? La difficulté de répondre à cette question explique peut-être l'impression de fouillis que nous laisse "La Guerre selon Charlie Wilson" : faisant en permanence le yoyo entre l'émotion dans les camps de Peshawar, la simplification géopolitique et le comique de mots, le film finit de manquer de force dans les trois registres.
Il y a certes quelques dénonciations réjouissantes de l'inefficacité de la machine bureaucratique, avec par exemple ce dialogue : "Quelle est la stratégie de la CIA en Afghanistan ?" "Il y en a pas, mais nous travaillons là-dessus" "C'est qui, nous ?" "Moi et trois autres mecs", ou la mise en lumière de l'inculture de la classe politique qui passe son temps à confondre Pakistan, Afghanistan et Ouzbekistan. Mais le contrepoint de ce propos, c'est une nouvelle fois la glorification de l'initiative individuelle, le rêve américain appliqué au trafic d'armes, ou l'apologie du libéralisme en matière de guerre secrète.
Je passe sur la représentation des Soviétiques réduits aux rôles de tortionnaires, puis de cibles de jeu vidéo pour les missiles Stingers et Milan ; il n'y a pas rien à défendre dans l'invasion de l'Afghanistan, et dans leurs methodes recyclées aujourd'hui en Tchétchénie. Mais la légitimité de la résistance dérape en une justification du droit des Etats-Unis et de leurs agences à intervenir partout sur la planète, avec comme point d'orgue le discours du chairman à Peshawar, annonciateur du combat du bien contre le mal, cher à un autre élu texan. Pas un instant n'est évoquée non plus l'aide apporté par la CIA à Ben Laden au nom de la lutte anticommuniste.
Et puis, que vient faire ici le personnage jouée par une Julia Robert enchoucroutée, celui d'une richissime Texane ultraconservatrice et missionnaire du Christ, préfiguration des chrétiens conservateurs qui ont fait élire Georges Walker Bush ? Tom Hanks réussit à rester dans la retenue, même s'il est un peu engoncé dans le carcan de son personnage ; par contre, Philip Seymour Hoffman, méconnaissable sous sa moustache et ses grosses lunettes pour ceux qui l'ont vu dans "Capote", est une nouvelle fois formidable dans son personnage de Grec néo-américain en bisbille avec la terre entière, à commencer par sa hiérarchie à Langley.
Trop ambitieux pour un simple divertissement, trop ambigu pour raconter la complexité de ces évènements, "La Guerre selon Charlie Wilson" offre juste quelques bonnes scènes bien ficelées par le vétéran Mike Nichols, quelques bonnes répliques et quelques bon numéros d'acteur. C'est à peine assez pour faire oublier le ramollissement du rythme, et bien insuffisant pour faire date.
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