Un metteur en scène pour lequel le film Un jour sans fin (Groundhog Day) d’Harold Ramis est une référence ne peut pas être mauvais. Il y a forcément du bon dans cet homme-là, qui s'exprime ici sur le concept de bonheur avec une sensibilité ravigorante.
Les désopilantes mésaventures du personnage incarné par le toujours excellent Bill Murray avaient presque valu à l'œuvre d’Harold Ramis un statut de film culte. Le film de Philippe Le Guay n’en est pas loin non plus. Du jour au lendemain a en effet réuni toute une palette d’effets qui contribuent chacun à leur manière à confirmer ce que l'on pouvait deviner dès les premières images. Il y a de l'optimisme dans ce film-là, mais il y a aussi de l'angoisse. Celle d'un homme que le bonheur a déserté il y a longtemps, à supposer qu'il l’ait d'ailleurs jamais approché. Dans le rôle du miraculé, Benoît Poelvoorde apporte toutes les nuances nécessaires permettant d’exprimer la rupture brutale dans les habitudes de son personnage, François Berthier. Un personnage qui, du jour au lendemain, va se trouver submergé par un bonheur accaparant, alors que jusque-là son existence n'était qu'une succession de déboires (tous plus hilarants les uns que les autres, pour les spectateurs s'entend).
Monsieur « pas de bol » les collectionne. Entre ses voisins de l'HLM qui lui rappellent sa solitude et sa séparation avec sa femme (ils font crac-crac tous les soirs à la même heure), le chien du voisin qui vocifère à tout-va, la cafetière qui ne daigne pas fonctionner correctement, et la météo qui se joue ses costumes trois-pièces, rien ne lui est épargné. Et si l'on ajoute à cette liste non exhaustive un boulot pas réellement passionnant (M. Berthier est cadre moyen dans une banque), des collègues qui le méprisent, ou au mieux l'ignorent, et un patron qui ne cesse de le harceler, on a là un aperçu assez fidèle de la grisaille -mais peut-on encore parler de grisaille à ce stade ?- dans laquelle se débat notre sympathique poire.
François Berthier a des objectifs à atteindre, envers et contre tout. Il doit de plus de gérer une procédure de divorce engagée par son épouse (Anne Consigny apporte à son rôle de son regard pétillant) qui lui reproche sa crispation, sa retenue, lorsqu'un bon matin la scoumoune relâche son étreinte. D'homme ordinaire, après tout, notre François Berthier se change alors en paratonnerre à succès. Finis les averses surprises, les voisins bruyants, la cafetière récalcitrante. Bienvenue à la promotion, à l'épouse qui s'apprête à rebrousser chemin, lui (re)découvrant certaines qualités. Le bonheur est alors partout, si soudain et envahissant que bien vite la question de savoir si François Berthier ne serait pas en train de rêver se pose. Tout est presque trop beau, dans cette nouvelle journée de mardi.
Philippe Le Guay s'interroge sur le bonheur tout au long de son film, d'une manière moins caricaturale que ne pouvait le laisser supposer la présence de Benoît Poelvoorde en personnage clé. Ce dernier a du mal à croire en sa chance et à accepter ce changement brutal. Comment saisir le bonheur, le provoquer, l’attirer, telles sont les questions que le réalisateur aborde ici. À travers le parcours chaotique de François Berthier, il cherche à interpeller le spectateur sur la monotonie du quotidien, son aspect grisâtre, et la perception qu'il en a. Cette perception, fluctuant entre dans le temps, varie également en fonction des individus. C'est ce qui explique en partie la réaction du quidam touché par la grâce. Quand enfin il se décide à prendre le taureau par les cornes et à mettre un peu d'ordre autour de lui, on craint le pire, on s'interroge sur sa capacité à maîtriser toutes cette énergie positive. Parviendra-t-il à l'entretenir, afin d'assurer sa pérennité ?
L'inquiétude de François Berthier va progressivement se muer en l'angoisse. Sa quête désespérée de la vérité nous amène inexorablement vers la conclusion, logique. À côté de celle, cruelle, d'une sombre machination, et de celle du rêve éveillé, se développe une troisième explication, bien plus noire. La gueule de bois s’annonce carabinée, même si le retour de manivelle était attendu au point d'en être espéré.
Le registre mi-doux mi-amer dans lequel s'est épanoui le film n'a posé aucun problème aux comédiens. Benoît Poelvoorde a su se montrer convaincant dans un rôle plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord. Véritable électron libre, le comédien a su mettre à profit sa sympathique tête d'ahuri pour donner vie à un personnage pas si prévisible que cela et habité par une douce folie. À ses côtés, Anne Consigny n’est pas demeurée en reste, et a composé une femme moderne touchante, gracile, fragile, sans pour autant paraître nunuche. Elle est le contrepoint parfait à la morosité ambiante. L’excellent Rufus est ici habité par le souvenir de l’Empereur, les amateurs d’Histoire apprécieront son petit délire personnel, qui permet à son interprétation de mêler habilement le comique et le pathétique. Quant à Bernard