Quelque part en Normandie, un jeune ouvrier étranger (géorgien, sans doute) répare la toiture d’une villa. Le propriétaire, camé jusqu’aux yeux, attend une lettre et fait l’objet d’une surveillance policière. Quand il meurt d’une overdose, l’ouvrier doit arrêter son chantier sans être payé. Il récupère alors la lettre tant attendue, espérant ainsi récupérer une grosse somme. Il suit les instructions laissées dans la consigne d’une gare : descendre une station avant la destination du billet, échanger de voiture en rase campagne, tout est fait pour semer avec succès les policiers.
Arrivé dans une villa perdue au fin fond de la forêt, il découvre qu’il va devoir participer à une épreuve de roulette russe, organisée avec un rituel lancinant par d’implacables brutes. Enjeu de paris codifiés avec une macabre précision, chaque tour élimine quelques concurrents, et ajoute une balle dans le barillet.
Affublé du n°13, notre héros va passer les tours, perdant progressivement son innocence…
Quel film étrange et envoûtant !
Filmé dans un noir et blanc rugueux, «13 (Tzameti)» évoque certains films de Melville par son rythme syncopé et la sécheresse des dialogues. L’utilisation du grand angulaire, y compris dans les panoramiques, des raccords de plans peu académiques, une diction des acteurs assez désincarnée évoquant celle d’un Jean-Pierre Leaud renforcent ce sentiment d’étrangeté formelle. L’intrigue, sur un thème de la même veine que celles de «On achève bien les chevaux» et de «Battle Royal», est épurée, avec une logique implacable qui mène au tragique. Le réalisateur a réuni un casting de gueules incroyables, plus proches de la mafia tchétchène que du milieu marseillais.
La violence de cette épreuve barbare est encore démultipliée par l’application de règles impitoyables, garanties par une armée de sbires dirigée par un juge halluciné. La drogue est partout : «candidats» mais aussi parieurs sont sous morphine, pour parvenir à supporter l’insupportable. Les rares attitudes humaines ne sont pas acceptés comme telles, dans un univers où l’argent prime sur la vie. Métaphore d’un monde dicté par des lois barbares ou simple fable, ce premier film malgré quelques imperfections est une incontestable réussite, appelé à devenir un film référence, sinon un film culte.
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