Hayley, (très) jeune fille de 14 ans, et Jeff, grand garçon de 32 ans, ont fait connaissance via Internet. En contact permanent par le biais du « chat » depuis trois semaines, ils se sont trouvé de nombreux points communs. Un bon « feeling » et de centres d’intérêts similaires les poussent désormais à franchir le pas, et à oser ce qui est considéré comme le « Grand Saut » dans le monde merveilleux mais virtuel de la toile, à savoir se rencontrer. C’est donc dans un café un rien branché, comme le veut l’usage, que Jeff et Hayley vont se voir pour la première fois en vrai. Le metteur en scène filme ce premier contact avec un mélange savamment dosé : un rien de nervosité, une pincée d’artifice et une petite touche de bravade nous rappellent que si Jeff et Haley pensaient bien se connaître grâce à leur correspondance régulière, la réalité est sensiblement différente. Mais le « chat » intensif a débroussaillé en partie le terrain, facilitant quand même un peu les choses. La discussion bat son plein, et tout se passe aussi bien que pouvaient l’espérer nos deux protagonistes. Il commence à se faire tard, et il va falloir songer à se quitter.
Mais voilà. Hayley s’invite chez Jeff, et Jeff n’hésite pas vraiment. Le pauvre, s’il savait ce qui l’attend ! Car si Jeff ressemble à n’importe quel polard de trente ans, lunettes et barbe de trois jours comprises, il y a quand même quelque chose de légèrement inquiétant, derrière son air sérieux et posé. Aurait-il quelque chose à se reprocher ? Face à lui, Hayley joue de son petit minois ; son grand regard candide, tellement attendrissant, est cependant bien plus profond que ne le laisse supposer son jeune âge. Quelque chose dans ce regard semble nous avertir, et nous promettre des développements qui n’auront rien de convenu…
La maîtrise de David Slade se ressent sur l’ensemble du film. Dès les premières images, il a fait le choix de ne pas pousser l’ambiguïté à son maximum. Le Petit Chaperon rouge n’a pas l’air aussi vulnérable qu’il le devrait, et le Grand Méchant Loup n’est pas aussi méchant qu’il est supposé l’être, ou n’a pas le temps de le devenir. Le réalisateur veut nous prendre à contre-pied, mais pas forcément sur la véritable identité de ses deux personnages principaux. Hayley n’est pas aussi désarmée qu’elle en a l’air, c’est vrai, et Jeff est un prédateur à l’instinct passablement émoussé. Et alors ? Ce n’est pas sur ces deux points que le cinéaste veut surprendre son audience, mais plutôt sur le face à face physique et verbal qui va opposer Hayley à Jeff. Ce positionnement, trouble d’emblée, lui permettra d’ailleurs d’éviter la morale de l’Histoire, si tant est qu’il y en ait une.
Quand le loup présumé devient la proie, il doit d’abord faire face à un discours un peu réducteur, à un argumentaire un peu simpliste de la part de son geôlier. S’ensuit alors un huis clos étouffant, dans lequel le spectateur ne cesse de se demander si la « justicière » (improvisée ?) n’est pas folle à lier, tant sa logique semble s’accommoder facilement de l’absence de preuve de ce qu’elle avance. Mais quand le gentil Petit chaperon Rouge trouve ce qu’il cherche, il a tôt fait de se muer en un tortionnaire qui ne connaît pas la pitié, retors et dès lors bien plus inspiré dans l’échange verbal. Les choses sérieuses peuvent alors commencer.
Hard Candy est décomposé en plusieurs étapes. Au départ, la victime essaye de sauver sa peau par la persuasion. Cela donne des échanges très intéressants, assez fins. Le film prend ensuite une toute autre dimension, lorsque Jeff se trouve ligoté sur la table d’opération de fortune. Réellement désespéré, Jeff tente alors par tous les moyens d’éviter de se trouver diminué d’une partie de son anatomie, pour le moins intime. Rien n’y fera. Hayley poursuivra le programme qu’elle s’était fixé, avec une espèce de détachement proprement insoutenable. Elle a commencé l’opération, et procède aux différentes étapes avec un calme et une sérénité qui n’excluent pas une forme d’humour, d’autant plus savoureux que déplacé, vu les circonstances.
Sur la fin, le rythme s’accélère, les rebondissements se faisant plus nombreux. Hayley a de la suite dans les idées, et nous invite à la suivre dans ses débordements jusqu’au final, sans appel. Il y aura de la casse, mais quelle ténacité ! Dans le rôle de ce petit ange, purificateur, il y a une comédienne sensationnelle, Ellen Page, qui prête, à 17 ans (elle en paraît facilement deux de moins), sa moue juvénile à la figure bronsonienne de l’implacable Hayley. On l’avait déjà remarquée dans le X-MEN 3 de Brett Ratner, elle y faisait tourner la tête des garçons, celle de Bobby Drake alias Iceberg en particulier. Dans Hard Candy, elle accapare la caméra, et semble promise à un avenir surprenant, loin, loin, des chemins balisés pour petites starlettes au physique de nymphettes. Face à elle, le comédien Patrick Wilson n’est pas à la traîne, loin de là. Il livre également une composition irréprochable (rien ne lui est épargné