Pas très au clair avec lui-même, ce Spielberg finit par en devenir idéologiquement très douteux. Le cinéaste s'attarde sur le chantage (désolé, il n'y a pas d'autre mot) mené par Abraham Lincoln pour faire passer le Treizième Amendement auprès d'une Union à bout de souffle qui cherchait à fuir la guerre avant tout. Dans l'idée, pas de problème, encore faudrait-il l'assumer jusqu'au bout, et se servir du machiavélisme du personnage pour en faire réellement une figure complexe et impossible à résumer en un simple coup d’œil. C'est pourtant un regard bien béat et admiratif que la caméra pose tout du long sur Lincoln (ou Daniel-Day Lewis, à ce niveau d'incarnation on ne sait plus très bien), continuant à le louer comme la figure de l'homme droit et fidèle à ses idées quand dans le même temps il crache sur celle de démocratie. Jusqu'à un épilogue qui reprend l'un des discours de Lincoln, le posant avec pompiérisme en la noble figure de proue de l'abolitionnisme que l'Histoire a retenue, et faisant fi des facettes plus sombres que le film laisse entrevoir pour les rejeter aussitôt, comme si elles étaient anecdotiques. Partir d'une figure historique fantasmée pour en revenir exactement au même point et oublier les développements qu'il avait lui-même proposés dit tristement combien Spielberg était plus intéressé par le filon scénaristique ou la flatterie de ses propres certitudes que par une réelle démarche artistique, une vraie vision d'auteur. On marche sur la tête. Le plus dommageable, au final, vient du personnage de Tommy Lee Jones, qui a droit à la plus belle scène du film (l'une des rares à surnager). Lui aussi, au congrès, se heurte à la nécessité de transiger avec ses propres convictions pour s'assurer la réussite politique, message sous-jacent du film, mais lui a plein droit d'effectuer ce geste parce son "parjure" le blesse lui-même, et personne d'autre. S'il peut assurément être noble que de consentir à perdre un idéal, ou à le ternir, pour assurer ce qu'on croit juste et sans jamais se compromettre par ailleurs, cette scène le rappelle à merveille et vient se poser face au cruel manque d'honnêteté d'un film qui tout entier élève un homme au rang de géant malgré les bassesses qu'il le regarde commettre sans jamais s'en émouvoir. De plus, le film manque de subtilité, traversé comme souvent chez Spielberg par une complaisance lourdingue qui gâche ses plus beaux moments en les surlignant au marqueur. La pudeur et la sobriété sont décidément perdues outre-Atlantique, dans un pays dont les pontes du septième art ont toujours autant de mal à questionner les icônes avec humilité et une réelle envie de connaître leurs origines pour s'améliorer à l'avenir. Je trouve même tout ça carrément tendancieux.