Typique film à Oscar, qui laisse une impression mitigée. Au rayon des qualités, on peut d'abord apprécier l'angle singulier du scénario : un focus sur les derniers mois du mandat et de la vie de Lincoln, qui concentrent tout son idéalisme humaniste et toute sa science politique. Ce focus permet d'éviter le biopic classique pour mieux cerner la dimension historico-politique du début de l'année 1865. On découvre ainsi l'appareil législatif et les arcanes du pouvoir de l'époque. C'est globalement intéressant. On apprend des choses. On s'amuse des manoeuvres et autres manipulations entre les Républicains abolitionnistes et les Démocrates majoritairement esclavagistes. Il faut aussi reconnaître le savoir-faire de Spielberg en matière de mise en scène. L'esthétique du film, aux aspects picturaux, est très soignée. Enfin, il y a évidemment la performance "monstrueuse" de Daniel Day-Lewis, qui touche au mimétisme pur avec son illustre modèle.
Malheureusement, le film a les défauts de ses qualités. Le fait de s'ancrer profondément dans l'histoire et la politique US, avec un grand souci didactique, par le biais d'une forte densité en dialogues et sur une belle longueur (2 h 30), donne un résultat parfois technique, complexe, voire fastidieux. On note également un petit côté 'best of" avec les meilleurs aphorismes et histoires drôles du Président. En matière de style, sans se fourvoyer complètement dans le lyrisme facile, Spielberg appuie quand même ça et là, quand ça fait du bien à l'idéalisme américain, soit par l'image soit par la musique (les quelques notes de piano ou de violon composées par John Williams, mille fois entendues). En quelques plans, au demeurant très beaux, le réalisateur n'est pas loin de l'hagiographie christique (la scène mortuaire). Quant à la prestation si parfaite de Daniel Day-Lewis, on en vient à se demander si elle n'est pas contre-productive, en ce sens où l'on finit par ne voir qu'elle, par focaliser sur le moindre mouvement de sourcil de l'acteur, en mesurant les efforts fournis pour parvenir à cette perfection. Un peu plus de distance avec le personnage n'aurait pas forcément nui à sa crédibilité (la prestation de Michel Bouquet incarnant François Mitterrand dans Le Promeneur du Champ-de-Mars est, à ce titre, un exemple). C'est un peu triste à dire, mais Daniel Day-Lewis, en grand acteur perfectionniste qu'il est, éclipse voir écrase le film...