Il a fallu beaucoup de courage à Steven Spielberg pour s’attaquer à un tel sujet… Abraham Lincoln est un monument national et face à cette légende un cinéaste n’a que peu de marge de manœuvre pour éviter les images convenues et hagiographiques. En choisissant une période très précise, le mois de janvier 1865, et un épisode historique, le vote du 13e amendement de la constitution américaine abolissant l’esclavage, Spielberg, et ses dialoguistes, ont produit, avec une précision mécanique, plus qu’un portrait, mais une œuvre politique à la fois intimiste et intemporelle.
Dans l’histoire américaine, Abraham Lincoln a tout d’un saint, martyre en plus. Le montrer comme un homme « normal », dans son intimité, avec son jeune fils, rudoyer sa femme, gifler son fils aîné, tenter de préserver sa famille des horreurs de la guerre, est déjà assez iconoclaste. Mais illustrer comment cet homme légendaire s’est abaissé à exploiter toute la panoplie des moyens politiciens, y compris le mensonge et la corruption, pour parvenir à effacer de l’histoire américaine l’esclavage qu’il détestait est assez remarquable.
S’il fallait démontrer qu’en politique la fin justifie les moyens, ce film est appelé à devenir un classique pour former les politiciens de tous pays ! Les laborieuses tractations entre le Congrès et la Maison Blanche qui ont préparé ce vote est une démonstration que la démocratie n’est pas une machine éclatante de blancheur.
Evitant le spectaculaire, en dehors de brèves images sur le massacre que constitue la Guerre de sécession, première guerre « moderne » forte de 600000 victimes grâce à la mise en œuvre d’armes perfectionnées, Spielberg se concentre sur l’homme Lincoln, ses proches immédiats et son travail politique. Ce travail minutieux, servi par des acteurs exceptionnels, peut irriter les amateurs de spectaculaire. Il est indispensable pour marquer le cheminement douloureux de l’homme d’Etat confronté depuis quatre ans à l’insupportable massacre de son peuple, qu’il doit faire cesser, et à l’aboutissement de son œuvre politique, la fin de l’esclavage, qu’il doit obtenir à tout prix. Spielberg parvient à rendre passionnants ces débats au cœur de l’histoire américaine car au-delà de ce contexte spécifique, c’est bien un sujet universel qu’il traite avec tact et rigueur.