Réalisé en 1972 par Mario Caiano, vétéran du cinéma d’horreur (Les Amants d’outre-tombe avec Barbara Steele) et du péplum (L’Hercule noir, Ulysse contre Goliath), Le Retour de Shangaï Joe est la suite de Mon nom est Shangaï Joe, grand fondateur du « western soja ».
S’il y a bien un genre qui s’adapte à pleins d’autres, c’est bien le western (western mélo, western horrifique…).
Pour son film, Mario Caiano réunit la fine fleur de l’art dramatique bis italien, avec au casting Piero Lulli (Tire encore si tu peux, avec aussi Francisco Sanz qui joue ici le rôle d’un pauvre mexicain réduit en esclavage), et ce vieux Klaus Kinski, qui tournait la même année dans le très ofniesque giallo Les Insatisfaites poupées érotiques du docteur Hitchcock de Fernando Di Leo et qui avait gagné ses galons de chasseur de prime (rôle qu’il joue ici, mais seulement le temps d’une apparition, d’un scalp foiré et d’un viol avorté) dans le magnifique Grand silence de Corbucci, trois ans plus tôt.
Au niveau du synopsis, Le Retour de Shangaï Joe y en a pas casser la tête comme le dit un romain à Obélix dans Obélix et compagnie. Le film se penche simplement sur un chinois débarqué dans un coin paumé du Texas dans lequel il va enchaîner des rencontres peu saines avec tous les xénophobes du coin, des plus paillards et fêtards aux plus sadiques et psychopathes (Klaus Kinski est évidemment dans la deuxième catégorie).
Si la première partie est complètement puérile et ratée, montrant avec une platitude désarmante une succession de scènes de kung-fu désincarnées (c’est visible, Caiano est bien plus à l’aise dans le découpage des fusillades (la scène du saloon est à ce titre un modèle du genre) que dans celui des bastons) et qui se ressemblent toutes plus ou moins. Jusque là, malgré quelques scènes gores assez répugnantes (au choix, un empalement sur des pics de bois, une énucléation manuelle que Fulci n’aurait pas reniée et un arrachage de main express) qui tentent vainement de relever le niveau, le film ne brille ni par son rythme, ni par son dynamisme, la dénonciation de la xénophobie américain ne valant pas un ersatz d’un sous Dans la chaleur de la nuit.
Mais c’est l’arrivée de ce vieux Kinski qui change un peu les choses. Après avoir délivrée sa bien-aimée (il faut bien qu’il y ait des femmes dans l’affaire qui ne soient pas des prostituées quand même !) des griffes de deux violeurs fraichement sortis d’Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia, Joe (le même nom que Clint Eastwood dans Pour une poignée de dollars donc) tombe (pas de chance) sur le plus vicieux des chasseurs de primes depuis le Lee Van Cleef du Bon, la brute et le truand. Autrement dit un sacré bougre de salopard !
Ce dernier, en plus d’être assez tapé pour parler à une poupée en pierre noire, a une lubie bien entendue peu sympathique : celle de scalper ce qu’il arrête. Mais lorsqu’il s’en prend à Joe, il se retrouve bien entendu au plus mal, soit avec six couteaux dans les côtes.
La prestation de Klaus Kinski illumine littéralement le film et lui donne une bonne partie de son intérêt, par ailleurs pas démesuré. Parfaitement crédible en allumé inspectant les pellicules du scalp d’un docteur en ricanant pour la bonne raison qu’il était lui-même suffisamment barjo pour faire hisser à des techniciens et des jeunes gens un bateau sur une montagne (Fitzcarraldo), il traverse le film comme une étoile filante et Mario Caiano ne semble pas vraiment avoir compris son potentiel. Il est en effet regrettable de le voir apparaître un laps de temps si court.
Toutefois, la fin du long-métrage n’en souffre pas trop, vu que c’est sans doute la meilleure partie du film. Plongeant soudainement dans un fantastique nippon tout droit sorti d’un film déviant de la Shaw Brothers, quelque part entre La 36ème chambre de Shaolin et Les Sept vampires d’or, les 15 dernières minutes dirigent le film vers le nanar atomique mais néanmoins plutôt singulier, doté d’un flash-back surprenant dans une secte d’apprentissage d’arts martiaux, secte à laquelle, on l’apprend vite, Joe appartenait il y a longtemps, mais aussi d’un combat « out of this world » complètement barré où les deux adversaires passent leur temps à sauter sur le toits des maisons comme des yamazakis, à se découper en petit morceaux, à s’échanger des couteaux ; jusqu’à ce que Shangaï Joe empale littéralement son adversaire sur son bras (berk !).
Nous aurons ensuite droit à des adieux gnangnans entre Joe et Christine, sa fiancée, et le premier part à cheval sous le soleil couchant, comme à la fin des Lucky Luke.
Il ne fait aucun doute que Le Retour de Shangaï Joe soit un western OFNIesque et chtarbé comme on en voit peu. Doté de certaines envolées oniriques qui ne manquent vraiment pas de gueule ainsi que d’une poignée d’excès gores durailles et de passages de tortures Castellariens, le film de Caiano surprend largement assez pour convaincre les bisseux en manque. Mais il est aussi largement regrettable que Mario Caiano soigne aussi peu son combat final (quoique, comme je le dit plus haut, le fait que ce combat soit aussi nul lui donne un charme nanardesque pas désagréable) et les autres scènes de kung-fu par ailleurs, et alourdisse son film de longueurs assez gênantes, d’incohérences et de défauts d’écritures rédhibitoires (que devient Piero Lulli ?? D’où sort le deuxième sabre qu’attrape Joe pour se défendre contre son ex camarade ?) et de citations péteuses (Confucius ici, Confucius par là, proverbes nippons par-ci…) ayant d’avantage leur place dans un mauvais film de Lu-Chia-Liang que dans un western soja aussi décomplexé.
Mais par les temps qui courent, voir un western aussi suicidaire, dingo et original, c’est vraiment pas de refus !