Chef d’œuvre de Bergman (c’est une forme de pléonasme que de dire cela), "Une passion", réalisé après les torturés et extraordinaires "Persona", "Le silence" ou "L’heure du loup", fait montre d’une sérénité nouvelle chez Bergman, une sorte de plénitude dans le drame, en même temps qu’un apaisement formel. Le cinéaste semble être parvenu, avec ses chefs d’œuvres des années 60, à exorciser certains de ses démons et "Une passion" révèle toute son expérience acquise, à la fois thématique et esthétique, et une sagesse nouvelle qui se manifeste par une forme de retrait pris par le cinéaste sur ce qu’il nous montre. Moins impliqué émotionnellement, il semble désormais plus apte à analyser et réfléchir sur les rapports entre les êtres et leurs tourments intérieurs. Le film marque également un changement important dans la forme même du cinéma de Bergman, avec l’utilisation de la couleur. La couleur est ici traitée comme du noir et blanc, à savoir non pas de manière à retranscrire la réalité, mais de manière irréelle (les couleurs sont retravaillées), avec une dominante nette des rouges et des verts (Max Von Sydow colle incroyablement à l’image, avec ses cheveux et sa barbe roux, ses yeux bleus). Autant dire que le cinéma de Bergman n’y perd aucunement son pouvoir onirique et poétique. Le film est en effet d’une beauté époustouflante, annonçant les fulgurances esthétiques de "Cris et chuchotements". Encore une fois, on reste impressionné par la mise en scène, qui permet à elle seule de retranscrire les vérités et les sentiments profonds des personnages. Les rêves et les visions fantasmées de ceux-ci nous révèlent leur monde intérieur, monde qu’ils s’efforcent de cacher aux yeux du monde extérieur, qui se trouve comme physiquement contaminé par ces souffrances (les meurtres d’animaux). Bergman s’autorise ici encore un peu d’expérimentation, en introduisant dans le film des interludes permettant aux acteurs de s’exprimer sur leur personnage. Un chef d'oeuvre indispensable.