La déshumanisation du camp adverse, aussi flagrante que les membres des forces armées birmanes se suivent et se ressemblent tous, unis qu’ils sont par leurs hurlements – comme on faisait hurler les Indiens pour insister sur le danger qu’ils représentaient vis-à-vis des braves colons – et leur couleur « jaune » – comme le reconnaît explicitement l’un des mercenaires, soucieux de laisser le bateau à une personne digne de confiance – fait de ce chant du cygne un chant de haine qui, loin de combattre l’horreur, la sollicite pour s’en repaître encore et encore. Le sadisme des tatmadaws devient le sadisme d’un film qui entasse les séquences de désolation et de boucheries, aussi proches puissent-elles être de la réalité historique, émanation d’un seul et même corps inhumain que l’on démantibule, éclate avec moult armes aux calibres variés. L’effroi de la guerre, dont le chaos dépasse tout ce qui a pu être mis en scène jusqu’alors dans la saga et qui atteste ici un certain sens de la réalisation, mute en un spectacle format son et lumière avec ses fumées rougeâtres enveloppant les logements ennemis, ses explosions, sa tripaille rouge. Dit autrement, le long métrage fond ensemble le réalisme brut et l’esthétisation, par peur de perdre en chemin les amateurs de héros bravant le feu et les flammes pour sauver la demoiselle en danger ; ce faisant, son approche perd en crédibilité ce qu’elle gagne en puissance d’iconisation. L’intérêt réside alors dans la réactualisation d’un mythe dont le nihilisme atteint son paroxysme et dépouille les idéalistes de leurs thèses grandiloquentes sur la bonté de l’Homme. Cette réactualisation met également à jour la représentation de la guerre : nous ne sommes plus protégés derrière l’écran blockbuster mais constamment éprouvés, immergés dans une apocalypse poisseuse et humide. La seule distance est celle du héros. John Rambo reste invincible. Et nous le savons. Nous n’avons pas peur pour sa survie. Il est acteur et spectateur désabusé d’une guerre qui n’est pas la sienne, il s’efface parmi la dévastation, renonce à son nom de gloire – et de scène – pour revenir chez lui et redevenir John, seulement John. Pas de Rambo hurlé à tout bout de champ. L’anonymat. Sylvester Stallone signe une œuvre radicale, imparfaite, raciste en ce qu’elle filme des ennemis regardés comme les petits membres d’un vaste corps « jaune » qu’il convient de détruire, en ce qu’elle s’efforce d’éradiquer une race à la racine jusqu’à recourir au champignon nucléaire, en ce qu’elle nie la singularité individuelle pour brosser le portrait d’un groupe situé en dehors de l’humanité. Ce dévoiement moral trouvera son point culminant dans le dernier volet, avec ses Mexicains violeurs et barbares et son Rambo reconverti en papi bricoleur…