Demandez à Michel Hazanavicius comment il décrirait OSS 117 Le Caire, nid d'espions. Le cinéaste réfute le qualificatif de parodie voyant plutôt son film comme un détournement. Habile, le Michel puisque dans le domaine, il en connait un rayon. En même temps, il a fait ses classes à Canal + fin 80/début 90, autrement dit l'eldorado créatif du PAF. Suivront plusieurs collaborations avec Les Nuls, et déjà de petites pastilles où l'auteur s'amuse à remonter de grands classiques du cinéma ou de la télé, à grand renfort de mashups improbables et de dialogues sans queue ni tête (Derrick contre Superman, Ça détourne). Il atteindra le sommet de son art avec La Classe Américaine, festival de grand n'importe quoi se payant la tête de John Wayne, James Stewart, Dean Martin, Robert Redford, Dustin Hoffman et tant d'autres membres du panthéon Hollywoodien. Typiquement le genre d'OVNI qu'on se repasse sous le manteau et que l'avènement d'internet a propulsé dans les cimes du patrimoine français. Bref, tout ça pour dire que l'agent secret Hubert Bonisseur de la Bath est une parfaite continuation des travaux de son auteur.
Au départ, le personnage d'OSS 117 est le héros d'une série de romans d'espionnage publiés dans les 50's, tout ce qu'il a de plus sérieux et professionnel. Plutôt que d'en faire une réactualisation à l'ère 2.0, Hazanavicius et le scénariste Jean-François Halin prennent le parti de jouer à fond la carte de l'anachronisme pour amener leur adaptation vers la comédie. Mais au lieu d'en faire une parodie, le réalisateur choisit d'adapter sa mise en scène pour qu'elle retrouve le goût et l'allure de ses modèles (James Bond période Sean Connery, Hitchcock). Le meilleur moyen est encore de réemployer les mêmes techniques : maquettes, transparence (pour les séquences en voiture), nuit américaine,... On retrouve ce souci maniaque jusque dans la composition des plans, du montage et des chorégraphies volontairement exagérées. Un choix osé mais payant puisque cette approche démultiplie l'absurdité de l'univers...et de son personnage-titre, évidemment.
"Un peu de Sean, beaucoup de Connery". Pas mieux. Jean Dujardin s'éclate à reproduire le ton et les poses de son modèle auxquels il ajoute son tempo comique infaillible et ses expressions faciales impayables. Il est simultanément charismatique, ridicule, drôle, grossier, surprenant, désespérant, bref il est irrésistible. Je tire mon chapeau à tous ses partenaires, allez exister face à un monstre de jeu pareil. Mais ils y arrivent, le script leur permet d'avoir leur moment de gloire. Bérénice Béjo en premier lieu, mais aussi Richard Sammel, Laurent Bateau ou François Damiens. Le Caire, nid d'espions n'est pas avare de répliques bien senties ou de moments burlesques. Son seul écueil est d'oublier un peu son intrigue principale pour s'amuser à fourrer OSS 117 dans de petites pastilles certes gondolantes mais qui nous éloigne du sujet (la mission). Ce qui peut jouer un peu contre le rythme du film, sans trop entamer le plaisir heureusement.
Il y a du soin, de l'affection et beaucoup d'humour dans ce détournement de l'œuvre originelle. Mais c'est justement ce twist en règle du personnage qui lui confère sa pertinence au 21ème siècle. En le regardant de biais, sa gaucherie, ses réflexes colonialistes et son sexisme suranné deviennent les meilleurs instruments pour rire d'une époque et d'un état d'esprit qui étaient aussi hors de propos à l'époque qu'ils le sont aujourd'hui. Respecter les codes pour mieux en rire était la meilleure solution pour dépoussiérer le mythe. Alors qui mieux que Hazanavicius pour lui redonner du lustre ? La plume bien aiguisée de Halin, la vision claire du réalisateur, puis un mariole de compétition pour injecter charme et dérision. Voilà, vous tenez l'une des comédies les plus enlevées des années 2000. La Classe française.