Selon les mots de Dreyer, « «Mikaël» est la peinture vraie d'un monde faux ». Si la question de l'homosexualité refoulée était bien une préoccupation d'Herman Bang (faisant écho à sa propre existence), auteur du roman à l'origine du film de Dreyer, ce dernier néglige passablement cet aspect pour s'attarder sur la relation qui unit le peintre Claude Zoret à son fils adoptif Mikaël, sur fond de société décadente où règnent hypocrisie et faux semblants. Le 6e long métrage de Carl Theodor Dreyer est marqué par les conflits intérieurs de ses personnages, par la culpabilité, la trahison, l'amour et le pardon. Le genre auquel se rapporte «Mikaël» soit le kammerspiel (teinté ça et là d'expressionnisme), avec son unité de temps et de lieu ainsi que son intrigue resserrée, permet à Dreyer de se focaliser sur les sentiments de ses personnages, eux-même interprétés avec justesse, relative certes, mais d'une grande subtilité par rapport au reste de la production de l'époque. On connaît les limites du cinéma muet, et Dreyer a su parfaitement les dépasser, pour offrir un long métrage émouvant et tout en nuances, aussi bien du point de vue de l'interprétation que de l'esthétique. Nous sommes encore dans sa période antérieure à «La Passion de Jeanne d'Arc», manifestation éclatante de son génie, alors que la mise en scène de «Mikaël» reste bien sobre et pas encore tout à fait marquée par la personnalité de son auteur. Néanmoins bien des éléments nous rappellent que l'on a affaire à une oeuvre du grand danois : ces rapports filiaux ont certainement dû le toucher, lui qui fut aussi adopté. Nous retrouvons par ailleurs sa passion pour le visage humain, pour l'âme qui se cache derrière et que toute sa vie durant il a essayé de révéler par l'entremise de son art. Et tout comme dans «Gertrud» l'amour et le pardon permettent aux personnages d'accéder au bonheur et à la paix intérieure, en dépit de tous leurs malheurs apparents. Si Carl Theodor Dreyer fera par la suite bien mieux, «Mikaël» est un très beau long métrage qui vaut assurément le détour! [3/4] http://artetpoiesis.blogspot.fr/