Robert Rodriguez et Frank Miller remettent le couvert pour une suite toujours aussi bluffante de la claque de 2005.
Four injustifié accompagné d’une critique assassine, l’échec de Sin City : j’ai tué pour elle n’est finalement pas si étonnant. En 2005, le cocktail explosif du premier Sin City, à savoir une esthétique léchée inspirée des comics de Frank Miller, une narration empruntée au film noir et le style toujours détonnant de Robert Rodriguez, s’était illustré comme une véritable révolution dans les productions hollywoodiennes. En bref, le manifeste de films plus originaux et matures (les Dark Knight de Nolan s’inspireront au même moment de certaines BD de Miller sur Batman, ce n’est pas un hasard), et la démonstration d’un cinéma où les sentiments des personnages doivent se mêler à la froideur des effets numériques et des décors en fonds verts. Il s’agissait à l’époque de trouver un équilibre pour que l’expérience ne soit pas qu’un concept visuel novateur. Inévitablement, ce deuxième volet perd donc son effet de surprise (argument logique et peu valable quand on y réfléchit), que Rodriguez et Miller ont eu la bonne idée de compenser par une exacerbation des thématiques de leur univers si sombre.
La beauté de Sin City 2 réside ainsi dans sa volonté de toujours ressembler à un outsider, à un monstre de cinéma en marge d’un certain conformisme. L’image de la transformation y est donc prédominante. Dans une logique quasi-darwinienne, l’humain est obligé de s’adapter face à ses propres congénères, livrés à leurs instincts les plus primaires. La douce Nancy (Jessica Alba) ne rêve que de vengeance, au point de se taillader le visage, tandis que Dwight (Josh Brolin) fait de la chirurgie pour qu’on ne le reconnaisse plus. Plus encore que dans le premier film, la mise en scène époustouflante adapte sa technique froide aux corps. Des corps qui se nourrissent de violence, à l’image du charismatique Marv (Mickey Rourke), ou qui usent de cette enveloppe si précieuse pour assouvir leur soif de pouvoir, comme le fait si bien Eva Green, excellente en mante religieuse. C’est dans ces élans de vigueur corporelle que les touches de couleurs, habituelles de Sin City, font leur apparition. Les protagonistes (sur)vivent par leurs pulsions et leurs envies, appuyées par une voix-off volontairement envahissante.
Les tendances réacs dont on taxe souvent Franck Miller (à raison peut-être) n’ont pourtant jamais autant montré leur véritable enjeu : décrire des êtres désespérés qui ne demandent qu’à se purger. A l’instar des nombreuses gerbes de sang blanc, tout dans J’ai tué pour elle est une question d’expulsion. L’exemple le plus probant est la chute douloureuse de Dwight à travers la fenêtre de son appartement. Il n’est donc pas étonnant que le pivot de l’intrigue réside dans l’endroit où l’on délaisse ses problèmes : le bar miteux du Kadie’s Club. C’est ici que les différents chapitres se rejoignent, seul point noir de cette suite. Là où le premier épisode parvenait plus limpidement à switcher entre ses personnages, Sin City 2 se perd un peu dans sa volonté d’en offrir plus, déséquilibrant les histoires, quitte à sous-développer le personnage pourtant passionnant de Johnny (Joseph Gordon-Levitt). D’un autre côté, ce trop-plein confirme l’image de cette ville pécheresse comme un parfait microcosme pour dépeindre les affres d’une société soi-disant civilisée. Les mêmes erreurs et les mêmes excès de violence se répètent à l’infini pour alimenter cette machine infernale, qui trouve sans cesse de nouvelles proies sur lesquelles se rabattre pour perpétuer un système nihiliste. Johnny est un opportuniste, chanceux aux jeux et espérant repartir de Sin City riche, sans savoir qu’elle le tient prisonnier.
Mais derrière tant de noirceur, Rodriguez et Miller ont décidé de garder une touche d’espoir, celle de la libération, et tout particulièrement de la femme, au milieu de ce monde machiste. Au-delà de la vieille ville qu’elles contrôlent farouchement, elles n’ont désormais plus autant besoin des hommes pour se démarquer une fois hors de leur territoire, l’occasion de scènes d’action jouissives. Car après tout, Sin City 2 s’assume aussi comme une proposition de violence graphique amusante, où l’on peut se délecter avec cruauté d’une énucléation et autres décapitations. Nous ne valons pas mieux que les personnages, et le temps ne fait rien pour améliorer les choses. Pour nous aussi, il est question de transformation, d’évolution, sans pour autant qu’elle soit positive. Les deux réalisateurs ont alors la lucidité de rejoindre l’intemporalité de leur film à son manque à gagner. Contrairement à son prédécesseur, J’ai tué pour elle ne peut pas se reposer sur un contexte de sortie favorable. Il fait alors comme s’il s’était trompé d’époque, à l’image de ses protagonistes, perdus dans les codes de l’âge d’or des films noirs. Un certaine nostalgie s’empare alors du long-métrage, qui observe impuissant la banalisation qu’a subi son style, depuis que le premier volet a inspiré d’autres cinéastes. Dans ce rappel de l’innovation qu’il a été par le passé, ce Sin City fait involontairement écho à sa thématique de l’éphémérité du pouvoir, le rendant aussi funeste que sa véritable héroïne : la ville.