L'univers noir, déjanté et violent des comics de Frank Miller revient sur grand écran pour un deuxième film dans l'exacte lignée du premier. Si le fond est toujours aussi mince, la forme est elle toujours aussi époustouflante dans cette série B explosive, folle et brutale, qui se délecte comme un plaisir coupable 100% assumé. Car il ne fait guère de doute que les fans des romans graphiques de Frank Miller, à l'instar de ceux du cinéma de Robert Rodriguez, attendent de pied ferme cette seconde navette en partance pour Sin City, tant le premier voyage avait offert une expérience sensorielle révolutionnaire et décoiffante. Après neuf ans de patience, ils vont (enfin, diront certains) pouvoir embarquer à nouveau dans le rutilant taxi qui les mènera vers ce tourbillon visuel vertigineux et sanglant. Car on peut détester les films de Rodriguez. Voire même le style de Miller. Ou encore ce genre de cinéma grand spectacle basé uniquement sur les effets visuels. C'est tout à fait compréhensible, personne ne vous en tiendra rigueur. Moi-même je suis difficile à convaincre sur ce point, je le confesse. Mais il est difficile de dire que "Sin City" n'avait pas constitué un véritable électrochoc au niveau de l'image et de la couleur tant il ne ressemblait à rien de connu auparavant. Robert Rodriguez est un cinéaste aussi séduisant qu'agaçant, capable d'accoucher de réussites comme "Desperado", '"Une nuit en enfer" ou "Planète Terreur", mais aussi de ratages complets comme "Spy Kids" ou "Les aventures de Shark Boy et Lava Girl". Mais c'est un véritable passionné doublé d'un technicien hors-pair et touche-à-tout (réalisateur, scénariste, producteur, monteur, directeur de la photographie, compositeur de musique, créateur d'effets spéciaux), travaillant en marge d'Hollywood, de façon complètement indépendante dans ses studios d'Austin au Texas. Et avec "Sin City", ce roi de la série B pétaradante et sans complexe avait placé la barre très haut, réussissant la petite prouesse de retranscrire à merveille le style graphique si particulier de Miller, ainsi que son univers sexy, frénétique et sur-esthétisé, sorte d'hommage au hard-boiled où le noir et blanc est aussi lumineux que les couleurs sont salissantes.
Après avoir transposé, quasiment plan pour plan, les tomes 1, 3 et 4 de ces comics dans le premier volet, Rodriguez (toujours épaulé par Miller à la réalisation, mais sans Tarantino cette fois) s'attaque ici au second tome, le tout rehaussé de deux histoires spécialement écrites pour l'occasion. "Sin City : J'ai tué pour elle", qui comme son prédécesseur s'amuse à jouer avec la chronologie, a donc la particularité de fonctionner à la fois comme une suite et comme un préquelle. On assiste ainsi à l'évolution du personnage de Nancy, la fragile strip-teaseuse campée par Jessica Alba. Profondément marquée par la mort de son mentor Hartigan (Bruce Willis), elle est rongée par un désir de vengeance destructeur. Dans le même temps, on assiste au passé du personnage de Dwight (joué cette fois par Josh Brolin qui remplace Clive Owen) et on comprend pourquoi il a du changer de visage. Ce qui nous pousse à retrouver par la même occasion les prostituées maniaques de la gâchette (et du katana), Gail et Miho, mais aussi (et surtout) Marv, le colosse aussi brutal que sensible, toujours incarné à la perfection par Mickey Rourke (qui a d'ailleurs mis du temps à accepter de reprendre ce rôle à cause des interminables heures de maquillage qu'il doit subir avant chaque prise). On croise également de nouvelles têtes comme Johnny, un jeune as des cartes imbattable au poker dont Joseph Gordon-Levitt enfile le costume noir, ou comme Ava, une vénéneuse séductrice à laquelle la sculpturale française Eva Green prête ses formes. A noter les savoureuses apparitions de Ray Liotta et Christopher Lloyd. Et même de Lady Gaga qui, même si elle n'est à l'écran que trois minutes, s'en tire plutôt pas mal, il faut bien l'avouer.
Rassurez-vous (ou effrayez-vous, au choix), rien a changé à Sin City. La ville du vice et du pêché, où mort et vie se confondent, est toujours nécrosée par la noirceur, le nihilisme et le désespoir, toujours peuplé d'êtres violents, corrompus, machiavéliques. Si ce n'est la 3D, gadget souvent désuet contraignant le port de lunettes inconfortables mais qui colle ici plutôt bien à l'univers graphique de Miller, pas grand chose de nouveau pour ce deuxième acte dans la parfaite continuité de son aîné. En gros, si vous avez aimé le premier, il y a de grandes chances que celui-ci vous plaise sans problème. En revanche, si vous ne l'aviez pas apprécié, peu de chances d'être séduit cette fois. Collant de très près à ce qu'ils ont déjà livré par le passé, Rodriguez et Miller signent un nouveau bric-à-brac complètement fous aux effets visuels saisissants, où tout n'est que prétexte à des scènes de carnage orchestrées avec un savoir-faire vicieusement jouissif ; où s'entrechoquent sans temps mort une multitude de personnages haut en couleur(s) incarnés par un casting de prestige au cours d'une narration complètement éclatée.
Si il ne s'agit au final que d'une œuvre qui se voit comme un simple prolongement, "Sin City : J'ai tué pour elle" est un pur divertissement – certes pas exempt de défauts - mais tout à fait maitrisé, complètement déchainé, et surtout honnête et décomplexé. Il n'essaie jamais de n'être ce qu'il n'est pas, et ça c'est un point sur lequel bon nombre de blockbusters pêchent.
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