Julie Delpy signe là une oeuvre personnelle, au tempérament affermi. Loin, très loin, de l’image pieuse et vénéneuse d’Erzébeth Báthory, la réalisatrice lui préférant le sentiment d’une vie réelle... Aux orties donc, l’écueil trash, le récit artificiel. Place aux matériaux de l’Histoire - dont le doute sur la véracité sera entretenu -, auxquels s’ajoutent certaines libertés, forgeant une oeuvre originale au bel ADN féministe.
Classique et ingénieux sur la forme, d’une stupéfiante beauté tragique, tout y est sombre, tendu, la "glace" s’emparant progressivement des lieux : le parc, d’où surgit le démon tant redouté ; le bois, et ses corps exsangues, pétrifiés, victimes sacrificielles ; la salle des banquets, lors d’une scène aussi sublime qu’inquiétante, toute entière hantée par la putréfaction… sur la simple impulsion sonore d’une mouche !
Toute en grâce bergmanienne, l’actrice sculpte avec vigueur une femme intelligente, puissante, conquérante, mais psychiquement, émotionnellement, broyée à la racine. D’une vérité et d’une profondeur telles, qu’elle en devient contemporaine : quid de la dysmomorphobie (terme barbare ayant trait à ce miroir déformant, nous assignant à une laideur imaginaire obsessionnelle), de la peur de vieillir, aujourd’hui ? Que recouvre historiquement le terme "vanité" ? Est-elle un crime ? Est-elle encore un piège ?
Un mot sur la réussite musicale, signée là encore Julie Delpy. Elle est fondamentale, dans la vaste impression complexe laissée par le visionnage, qu’une foule de sensations, de questions majuscules (sur le mythe dans tous ses états, notamment), accompagne.
Ni flic de la vertu, ni fascinée, Julie Delpy ne cache rien de l’hypothétique cruauté du personnage, sans jamais le clouer au pilori. En disséquant le(s) mythe(s) avec habilité, en s’effaçant, pour nous laisser un récit shakespearien en diable, vif, dialectique, ample, habité, elle nous rend libre.