"La honte", réalisé par Bergman en 1967 dans une période où il enchaîne de manière impressionnante les chefs d'oeuvre ("Persona", "L'heure du loup", "Une passion"...), est une de mes oeuvres préférées du cinéaste et à mon goût, un de ses 5 plus grands films.
Le film nous présente la réaction et l'évolution d'un couple d'artiste face à l'intrusion soudaine de la guerre dans leur vie. Débarassé de toute idéologie politique, s'ancrant dans un décors temporellement et géographiquement non identifié, le film est centré sur l'analyse relationnelle de ce couple, utilisant la guerre comme un prétexte, un terreau propice à l'observation. Au début, le couple apparaît alors comme relativement solide malgré une certaine immaturité sous-jacente, surtout chez l'homme, Jan, complètement materné par sa femme Eva (une certaine caricature de l'artiste rêveur). Puis progressivement, la relation va se lézarder, des signes de malaise vont se faire jour, signes que les deux se refusent à voir, préférant ignorer et regarder ailleurs que d'affronter une réalité qui leur fait peur. L'arrivée soudaine de la guerre va confronter brutalement le couple à cette réalité qui, trop habitué à se désengager, ne pourra rien faire d'autre que subir les évènements. Mais la peur qu'ils auront connue les transformera profondément, et tandis qu'Eva initialement ferme et résolue deviendra craintive, Jan se révèlera froidement résolu, n'hésitant plus à tuer pour obtenir un espoir de survie. C'est ainsi qu'ils pourront fuir sur une embarcation dans une traversée sans fin ni horizon vers la mort... Que dire, sinon que ce film est un pur chef d'oeuvre. Précision et justesse des cadrages, superbe photographie, perfection du jeu des acteurs, intelligence de l'analyse comportementale, grande qualité des dialogues, puissance émotionnelle et poétique. C'est maîtrisé de bout en bout. Du grand Bergman et donc, du grand art!