L'histoire d'un tueur qui a autre chose à faire que de sauver le monde, si seulement il sauvait déjà sa propre vie.
On sent le mec d'expérience qui n'a pas passé sa vie que dans le cinéma.
On sent aussi qu'il a longtemps réfléchi pour faire son premier pas derrière la caméra.
Dès le premier plan sur les buildings, cet infini de fenêtres vides où l'on devine le grouillement des hommes de services comme des réunions sans fin du gratin, on sent que chacun est tout petit, quelque soit son grade.
C'est aussi dès ce premier plan que l'on sent une patte de sénior. A la Mann, car on pense beaucoup à « Collateral », cette manière adulte de regarder un monde immonde, où tout est basé sur le fric, ce qu'il permet et ce qu'il frustre par essence. Pour ces gens là, le bonheur n'existe pas, depuis longtemps étouffé par les « dettes » quotidiennes. Pas forcément celles qui mettent le compte dans le rouge, plutôt celle obligatoire qui doit être payée avant que l'on devienne SDF, même de luxe. Et c'est vrai qu'il s'agit d'une préoccupation relevant plus du jeune continent, tant ils vivent à crédit.
Ensuite, on passe au film proprement dit, la première scène où il se passe quelque chose semble en décalage avec le sujet du résumé. Bref, on sait qu'on va pas voir un défilé chrono « logique », qu'il va falloir prendre au bond tous les indices. Pourquoi les critiques ont ils voulu faire croire que la première demi-heure était « compliquée » ? Alors que si on écoute vraiment les dialogues et qu'on ne croit pas à la tranquilité trompeuse des scènes, tout est si simple à comprendre.
Oui mais, tout a un sens et à la fin de la première demi-heure (magnifique de construction à la Lynch pour tous ceux qui dorment « avant » d'aller au cinéma) les choses commencent à se mettre en place avec une logique implacable. Mais ce n'est pas celle des films de Soderbergh ni celle d'Hollywood et c'est sans doute cette manière mature de montrer la réalité dépassant toutes les fictions spectaculaires qui est absolument merveilleuse.
Tous les poncifs du thriller sont revisités, le seul qui a du courage et fini aveuglé par la vie passionnée vit dans un loft certes, mais crasseux au possible. Le beau Clooney ne possède rien de ce qu'il montre, comme beaucoup plus de frimeurs que l'on croit, même en France.
Les parcours sont plus erratiques que prévu, et ce flou des statuts de chacun, la complexité sinon la fragilité des liens entre entreprises et les fissures dans la légalité achèvent une impression de marais putride pour le spectateur. Même si la directrice juridique met beaucoup de conviction à « paraître » bionique. Mais la transpiration, visible dans un miroir discret, d'une charge de travail et de responsabilités trop fortes pour n'importe quel être humain dénonce la fragilité de tous ces dirigeants qui misent sur des coups de bourse plus qu'il ne font un bon boulot. Comme si l'on pouvait prévoir ou arranger les problèmes qui se posent dans des boîtes de 5000 personnes et un marché de consommateur mondial. Les réussites ne sont pas explicables, seuls les échecs le sont, bien après coup et le statut de tous ces manipulateurs de fonds financiers est bien moins prestigieux quand la logique s'en mêle.
Ici, on voit que quand les sommes en jeu deviennent un peu trop élevées, les décisions peuvent rapidement déraper, surtout quand la solitude du décisionnaire (trop anxieux de montrer à une tierce personne qu'elle ne maîtrise pas la situation) l'oblige à tout faire sans témoin, ni aide.
Pour ceux qui pensent à une exagération ou à de l'invraisemblance, il suffit de voir tout ce qu'à pu organiser la CIA ou le FBI dans les 30 dernières années pour comprendre que tous les coups sont permis, et que les budgets de Total, Sanofi, Monsanto ou autres Exxon sont bien supérieurs à ces petites agences américaines, pourquoi leurs méthodes seraient différentes, quand il s'agit de millions de dollars ?
C'est un film qui montre les coulisses de batailles silencieuses, où le seul facteur « emmerdant » est encore et toujours le facteur humain. Celui qui lâche prise, celui qui ne joue plus le jeu, mais surtout celui qui porte plainte parce qu'il ne survit pas aux jeux d'argents.Musique excellente, photographie maniant les codes du film classe à la perfection, sans perdre de vue les nouvelles modes, sur les flous ou les manipulation, en sachant rester discrète.
Pour le reste, plus exigeant que « Collateral » avec moins d'action et de bla-bla, il est précurseur d'un cinéma plus adulte qui fait de plus en plus d'incursion dans le monde d'Hollywood à destination d'un public qui vieillit et accompagne le nouveau statut moins populaire du cinéma de divertissement. A ne râter sous aucun prétexte, il n'y a pas une scène de tribunaux, comme souvent dans les vraies négociations qui fonctionnent, loin des yeux publics, ce n'est donc pas un deuxième « Erin Brockovich seule contre tous » plus enlevé, plus spectaculaire, mais plus invraisemblable. C'est encore beaucoup plus...