Etant sensible aux voix donc à toutes versions originales, j’ai vécu ce voyage douloureusement. Des voix italiennes sur des voix françaises, allemandes et américaines, insupportables ! J’ai préféré la version française malgré une post-synchronisation dissonante. Toute cette contrariété a parasité mon confort. Dommage car j’aurais aimé savourer ce road movie. Savourer ces conversations imaginées par le réalisateur entre Casanova et Restif de la Bretonne et Thomas Paine, personnages historiques et contemporains de la fuite de Louis XVI. J’aurais aimé savourer cette conversation avec les vraies voix des acteurs. Marcello Mastroianni et Restif de la Bretonne en français, c’était impeccable puisque le grand acteur italien parle notre langue. Mais quel dégât en version italienne, la voix de Jean-Louis Barrault est détestable. Et que dire de celle de Harvey Keitel ? En version française ça passe mieux en l’affublant d’un accent anglais perceptible. Etait-ce l’acteur lui-même ?! Thomas Paine a été longuement témoin de la Révolution française. Dans ce carrosse on y trouve aussi Hanna Schygulla dans la peau de la comtesse de La Borde. J’ignore si ce personnage est fictif. Il y avait bien un Jean-Joseph de la Borde qui fut guillotiné durant la Terreur, mais serait-ce son père ? Je n’en suis pas certain. Peu importe, Ettore Scola imagine cette comtesse qui croit ou se convainc de croire que le peuple aime encore son roi. Que le peuple comprendra la démarche de son roi. Elle a été témoin de l’amour de ce peuple envers son roi quelques années plus tôt quand celui-ci arpentait le port de Cherbourg. Elle garde ce souvenir comme acquis. Elle garde cet amour comme acquis. Plus le carrosse se rapproche de Varennes, plus le doute s’empare d’elle. Quand elle descendra pour tenter de rejoindre le roi, elle se confrontera à un peuple qui n’a plus rien à voir avec ses souvenirs. La comtesse de la Borde est à l’image de la royauté ; en traversant une foule qui la dévisage, qui ose la toucher, elle vacille comme la monarchie. Laquelle est entre les mains de la Nation, de ce peuple qui souffre de la monarchie depuis Hugues Capet. Casanova désenchanté, la comtesse désillusionnée, son compagnon de voyage, Monsieur Jacob (Jean-Claude Brialy), délicat, sensible, maniéré, c’est une longue période de 1000 ans qui s’apprête à disparaître. A l’auberge où la famille royale se repose après avoir été interceptée, auberge pleines de curieux, mélange de compassion et de rancoeur, voire de haine pour certains envers la famille royale, Ettore Scola nous en donne peu à voir sous le regard de la comtesse. Des pieds, des jambes en dessous du genou. On devine le prince allongé sur un sofa, fatigué et peut-être Madame de Tourzel, la gouvernante des enfants. C’est la bonne idée du film : on ne verra jamais le roi et sa famille. La fuite de Varennes est vécue dans un autre carrosse. A travers des personnages historiques et fictifs ; et suivre ce carrosse royal, c’est suivre leur actualité : la fuite du roi. Le roi ne fuit pas son pays, il fuit pour se reconstruire et il fuit un peuple parisien qui le retient prisonnier, lui et sa famille. Pour la petite anecdote, l’Assemblée Constituante déclarera que la Roi a été « enlevé » ! Une des dernières images du film est émouvante. Dans une chambre de l’auberge, Monsieur Jacob déballe des deux paquets les habits que devait porter le roi après avoir franchi la frontière. La comtesse de la Borde en avait la garde. Sous les yeux de Restif de la Bretonne et de Thomas Paine, Monsieur Jacob habille avec soin un mannequin de bois planté dans la chambre. Chapeau, chemise, ce fameux habit rouge que portait le roi à Cherbourg, chaussures et une magnifique cape. La caméra fait un travelling arrière pour élargir le plan. Madame de la Borde, en déshabillé effectue une révérence à ce mannequin de bois. Tout un symbole, le roi n’est plus qu’un mannequin de bois manipulé par son peuple et les représentants de la Nation. Un pantin. Lequel traduit le déclin de la monarchie. Oui, il y avait une belle idée de nous conter cette fuite mais quelle épreuve pour moi avec ces versions tout azimut. Et je reconnais aussi quelques longueurs, et c’est encore plus long quand les acteurs ne jouent pas avec leur propre voix. A voir tout de même.