La véritable fin du monde qu'est Southland Tales, c'est surtout Richard Kelly qui l'a vécue. Avec sa petite notoriété de réalisateur de Donnie Darko, le voilà qui débarque en Compétition Officielle du Festival de Cannes 2006 avec un film de 2h50 pas terminé, incompréhensible, hué et moqué de tous, et dont le long travail de remontage (un an à le charcuter) n'y ont rien fait : il est le tombeau de ce réalisateur de 31 ans. Et trois ans plus tard, son The Box sera les clous. Apocalypse pour Kelly... Mais nous ? Qu'on se le dise, on n'a pas tout compris à cet Idiocracy très énervé, furax contre à peu près tout ce qui aurait dû rester des vannes ou des cauchemars dystopiques, mais sont malheureusement devenus l'Amérique d'aujourd'hui. Imaginez un pays où les Républicains les plus véhéments l'emportent aux Présidentielles, où les Démocrates les plus extrêmes réagissent en montant des complots pour faire tomber la police devenue anti-minorités (et coupent des doigts, pour limiter les votes par empreintes et voler les accès privés des dirigeants), où pendant que les mastodontes se battent, les petits se permettent tout et n'importe quoi (on ne fait pas attention à eux, alors...) comme révolutionner les énergies renouvelables en jouant avec les forces maritimes (jusqu'à tout dérégler), créer une secte régie par la sacro-sainte arme à feu accessible par n'importe quel fou, faire de la femme un objet sexuel qu'on présente même à la télévision... And God Save America. Littéralement. Dans un final qui
reprend le premier sens de l'Apocalypse (pas une fin, un recommencement qui advient lorsque tout est à changer... Vous voyez le lien ?),
on ouvre nos yeux un dernier grand coup, pas vraiment sûr de tout saisir à ce grand bazar visuel et narratif, essayant de raccrocher tant bien que mal nos interprétations aux images signifiantes noyées sous beaucoup de fioritures comiques (on pense notamment aux 4x4 qui copulent, à la dame qui braque Dwayne Johnson pour l'obliger à se laisser "faire" sexuellement, à ce clip déjanté - et génial - de Justin Timberlake sur I Got Soul But I'm Not A Soldier qui déboule de nulle part, à toutes les interventions de Dwayne Johnson qui tapote des doigts en continu sur 2h30 de film...). Southland Tales est aussi fascinant qu'interminable. 2h30 de grand n'importe quoi comique, satirique, dystopique, inquiet pour l'avenir, mal joué, mal fagoté entre les scènes (on suit plusieurs personnages aux histoires différentes, en sautant de l'une à l'autre sans prévenir), où l'on doit trier en continu ce qui nous demande de rigoler bêtement et ce qui nous demande de frissonner à l'idée que cela soit vrai, avec une mise en scène qui aime bien les "bloubiboulga sous amphet" : bref, un vrai chaos. C'est exactement là où Southland Tales veut en venir, un chaos qui appelle ce final rédempteur avec toutes les trompettes assourdissantes qu'il peut trouver sous les roues des pick-up forniquant ensemble. Mais très rapidement, ce chaos nous paraît infernal pour de vrai, même si l'on valide franchement tout ce qu'il a à nous dire (dont la majorité sont les actus d'aujourd'hui, grande tristesse...). Au moins, ça nous passe l'envie d'acheter ces gros 4x4 pervers. C'est déjà un petit pas pour la planète (à sauver, si l'on n'a pas compris).