Comme toute scène d'exposition, la première rencontre entre Frédéric et Hugo annonce ce qui va se passer : Frédéric fait son jogging matinal dans la pinède, filmé en gros plan avec une longue focale. Une silhouette apparait derrière lui, d'abord floue, puis se précise : Hugo court après Frédéric puis très vite le dépasse. Qui court après qui ? Hugo entre deux rencontres avec ses anges de discothèque, ou Frédéric bousculé dans ses habitudes ? Une chose est sûre : la liberté que revendique Hugo le dépasse clairement.
Car on s'interroge vite sur la nature de l'attirance qu'éprouve le mari et bon père de famille pour son voisin gay : est-elle sensuelle, comme pourrait le suggérer de nombreux plans de corps dans l'effort, d'une main qui frôle un coude ou qui remet en place l'étiquette d'un pull, des deux visages qui se superposent ? Mais cette sensualité est davantage celle de la réalisatrice que celle du personnage. Non, c'est plus une fascination pour les idées que remue si bien Hugo, idées qui bousculent les certitudes sur lesquelles repose toute la vie de Frédéric. C'est du moins ce que veulent montrer les flash-backs récurents sur la rencontre du premier soir -ou plutôt du premier petit matin- où assis dans des fauteuils face à la vallée, ils parlent de l'amour, du couple, de la primauté de l'imperfection sur la routine, du sens de la dernière scène des "Visiteurs du Soir" : faut-il retenir la pétrification des deux amants, ou le fait que, quand même, leur coeur bat encore ?
Donc, il s'agit d'un film sur un cheminement intérieur. Comme Philippe dans "Se souvenir des belle Choses" évoluait vers la reconquête de sa mémoire en même temps que Claire faisait le chemin inverse, Frédéric avance vers la reconnaissance de son homosexualité, qui selon Zabou Breitman agit comme un révélateur de l'amour, tout comme l'enzyme contenu dans la salive transforme le pain en sucre.
Mais filmer un processus mental n'est pas chose aisée, et deux menaces planent sur un tel projet : l'ennui et la dispersion. Malheureusement, Zabou Breitman n'a évité ni l'un ni l'autre de ces écueils. Pour souligner les tourments qui agitent ses personnages, elle fait appel à la grosse artillerie de la réalisation esthétisante : plans fixes-cartes postales avec fondu au noir, cadrages qui découpent les corps, plans d'ensemble avec un montage interne, abus du jeu sur la profondeur de champ ; si au début on peut se laisser charmer par une certaine élégance, le systématisme agace vite, et le crescendo débouche sur du carrément ridicule : quatuor dans un champ de blé, symbolique du vent qui traverse le couloir de la maison familiale, danseurs de tango isolés dans la foule, Hugo devant une porte immense pour figurer le petit garçon qu'il est resté. La fin du film est d'ailleurs une sorte d'étrange théâtre filmé, avec une suite de tableaux figés, loin de l'étymologie du mot cinéma, qui signifie mouvement.
La dispersion ensuite : alors que le spectateur commence à s'impatienter devant la structure en ritournelle du montage, d'autres pistes nous sont proposées, comme le rapport de Hugo à la filiation ou le harcélement sexuel qu'exerce un des invités sur la jeune fille au pair. Mais on ne fait qu'effleurer ces sujets, et ils semblent finalement n'être que de simples anectodes. Sur un sujet assez proche de "Nettoyage à sec" où il jouait alors le rôle du mari, un Charles Berling acéré et affuté s'en sort mieux que Bernard Campan, trop démonstratif dans son numéro de misérable vermisseau devant le brio de son voisin.
Alors, les qualités de son premier film ne se sont quand même pas toutes évaporées ; elles apparaissent à la périphérie du sujet, dans le portrait juste esquissé d'un adolescent rêveur, le regard sur la grand-mère nostalgique et complice, la langueur d'une baignade à la rivière. C'est peu, surtout à l'aune de notre déception. Mais c'est suffisant pour attendre le troisième film de Zabou Breitman, qu'on espère davantage épuré.
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