Rarement un spectateur ne s'est retrouvé aussi complice avec un réalisateur comme c'est le cas dans 99 Francs. À travers une mise en scène experte Jan Kounen livre une claque cinématographique, qui se reflète comme une tâche brillante et unique dans le paysage du Cinéma français, que nous ne sommes pas prêt d'oublier. Son long-métrage n'est autre qu'une plongée en apnée dans l'ébauche de notre société moderne, qui se veut à la fois tragique et drôle, fidèle et cliché, réaliste et illusoire. Cette description satyrique du French Dream et de ce qui en découle tient dans un bijou d'organisation visuelle et sonore, que le montage et la distribution viennent sublimer avec brio.
Avant d'aborder les thèmes inévitables de la publicité et du fonctionnement de la société, il convient de s'attarder en premier lieu sur l'aspect purement filmique de l'oeuvre, qui n'en fera que ressortir ces thèmes avec une puissance décuplée. Tout en ironie, malgré la cacophonie des deux heures de pellicule et l'impression de désordre ambiant, il apparaît que le film est structuré de manière méticuleuse et très schématique. Divisé en séquences fixes, le côté psychédélique contraste avec cette organisation on ne peut plus carré, mais à force de visionnages, on se rend aisément compte de la ligne directrice empruntée par Jan Kounen.
Auréolé d'un sens de l'originalité proche de la perfection, le film s'orchestre comme un ensemble de clips vidéos, qui baignent tous dans une inventivité constante, se détachant les uns par rapport aux autres tout en étant étroitement liés. Les surprises sont donc légion tout au long de l'histoire, conférant à 99 Francs l'aura rare du film qui se redécouvre encore et encore avec toujours la même fraîcheur, tant il fourmille de détails et d'éléments interprétables de diverses manières. Car l'essentiel du long-métrage, grâce à cette ambiance dynamique, édulcorée et emprise d'humour tragique, est celle d'offrir non seulement à chaque visionnage une expérience différente, mais aussi à chaque spectateur. Malgré la singularité qui s'en dégage, chaque personne parvient à la mettre en corrélation avec sa propre expérience de spectateur et de citoyen, pour entretenir une relation particulière vis-à-vis de la forme et du fond présent dans le film.
Le décor se veut plus essentiel que jamais, dans lequel voguent les acteurs, à la fois crédibles tout en dégageant une fausseté évidente. Car l'univers du faux-semblant se retrouve omniprésent. On nous parle de faux à travers la publicité, on se met à ancrer sans cesse les personnages et les spectateurs dans cette impression d'illusions continues. Pour les personnages ce sera à travers leur rapport avec le monde extérieur, comme s'ils étaient coincés entre de faux murs, coincés entre de faux sentiments, coincés dans une fausse vie. Pour nous, ce sera à travers des procédés brutaux, tel que le jeu direct avec le rapport film/spectateur, qui nous donnera aussi l'impression de baigner dans ces illusions incompréhensibles et pourtant si évidentes.
Avec beaucoup d'humour, ce que l'on nous dit, c'est que notre monde n'est qu'un assemblage de faux, et que nous le sommes encore plus. Un message qui se veut d'un pessimisme et d'un mépris sans précédent et qui pourtant arrive à nous afficher un sourire pendant toute la durée du visionnage. Est-ce là contradictoire ? Oui. Mais le film en lui-même est contradictoire, il le sait, et il en joue. La preuve, notre place, nous la payons, nos pubs avant le film, nous les avons vu, notre yaourt après le film, nous l'achèterons.
C'est donc au coeur d'un portrait détaillé de la conscience sociale que nous nous retrouvons, perdus et à la fois pleinement retrouvés, entre des images d'un dynamisme et d'une puissance inégalée, ainsi que des acteurs aux intentions plus que louables, celle de nous transmettre leur même malêtre, qui n'est pas difficile à aller chercher, tant nous en sommes proches tous les jours. Outre le fait de se révéler comme une comédie réussie et unique, le film s'appuie sur une profondeur certaine qui ne devrait pas laisser indifférent et qui doit beaucoup de mérite à Jan Kounen.
Plus que d'être vu, ce film se doit d'être vécu, tant il apporte ce que peu d'autres films sont capables d'apporter. Je vous conseille donc de vous ruer dessus, et vite, car tout est provisoire, la vie, l'amour, moi, vous, surtout vous.