Présenté en sélection officielle au Festival de Cannes en 2005, La Mort de Dante Lazarescu y a remporté le prix de la Section Un Certain Regard. Le titre français du film était alors La Mort de Monsieur Lazarescu.
Revenant sur la genèse du projet, Cristi Puiu confie que sa démarche est inspirée par celle du maître de la Nouvelle vague : "Je suis très attaché à Eric Rohmer et voulais donner la réplique à ses Six contes moraux. Avec mes associés nous avons fondé la société de production Mandragora pour tourner mes Six histoires de la banlieue de Bucarest qui seront des histoires d'amour : l'amour du prochain, l'amour entre homme et femme, l'amour de la progéniture, l'amour du succès, l'amour amical et l'amour charnel. Pendant plusieurs mois, nous avons cherché le ton juste pour ce premier volet qui raconte l'histoire de Monsieur Lazarescu et de sa lente disparition. Le film parle d'un monde où l'amour du prochain n'existe pas, parle de quelqu'un qui a besoin de l'aide que tout le monde lui refuse." Parmi les autres influences revendiquées par le réalisateur, citons Jim Jarmusch, Raymond Depardon et John Cassavetes.
La Mort de monsieur Lazarescu est le deuxième long métrage de Cristi Puiu après Le Matos et la thune, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2001. Né à Bucarest en 1967, Cristi Puiu, qui a commencé par étudier la peinture, notamment l'Ecole Supérieure d'Arts visuels de Genève, est également le coscénariste de Niki et Flo, un film signé par son illustre compatriote Lucian Pintilie. Ion Fiscuteanu, alias Monsieur Lazarescu, a d'ailleurs joué dans deux films de Pintilie, Le Chêne et Trop tard.
"Au début, je me suis demandé ce que pourrait donner un Urgences à la roumaine", explique Cristi Puiu, qui ajoute que la réalité roumaine dans les hôpitaux est très éloignée des fictions du petit écran : " Quand on regarde cette série américaine, ça bouge dans tous les sens, la chorégraphie des personnages est spectaculaire, mais je n'arrive pas à y croire. Dans mon pays, le corps médical vit au ralenti, sous valium, comme si les gens avaient encore 500 ans à vivre. J'avais envie d'explorer cet univers car il offre la matière propre à bâtir un certain suspense. Bizarrement, cette lenteur typiquement roumaine accentue la tension (...) En Roumanie, une certaine somnolence nous caractérise. Par ailleurs, nous sommes des maîtres dans l'art du dialogue de sourds. Ca donne des situations amusantes qu'on retrouve par moments dans le film."
Le cinéaste dresse un portrait de son personnage principal : "Son identité n'est pas très marquée. Son apparteement, ses vêtements, sa façon de vivre avec ses trois chats donnent juste quelques indices au spectateur. C'est l'observation des circonstances qui crée une certaine tension. Monsieur Lazarescu fait partie de ces gens têtus qi s'accrochent aux idées fixes et ne veulent pas en savoir plus. Il est arrivé là -avec ses trois chats dans son appartement. Il n'est pas une victime de son destin mais va mourir dans l'indifférence générale. C'est une fin dans la solitude, ce qui est banal et dérangeant à la fois (...)" Sur la dimension symbolique, voire biblique, de Monsieur Lazarescu, il note : Tout le monde sait que Jesus a ressuscité Lazare mais personne ne sait comment il est mort. Notre film pourrait être la mort hypothétique de Lazare au XXIe siècle en Roumanie -dans l'indifférence, la solitude et dans un contexte marqué par l'incommunicabilité.
La Mort de Dante Lazarescu a été tourné durant 39 nuits dans différents hôpitaux de Bucarest. L"hôpital avec toute cette agitation livre le décor idéal d'une comédie humaine.", note Cristi Puiu, qui ajoute, à propos duc hoix du huis clos : "J'aime l'idée d'un road movie nocturne en huis clos. Le Matos et la Thune, mon premier film, se déroulait déjà dans une voiture. L'idée de l'enfermement me travaille. Jeune, Kafka m'a influencé et ça a certainement laissé des traces. Tout comme la littérature russe du XIXe siècle m'a aidé à trouver des formes pour transmettre ma vision du monde. Dans une nouvelle de Tolstoï, La Mort d'Ivan Illitch, le monde se transforme devant les yeux d'un mourant. Mais comment montrer cette sensation de mourir de l'extérieur ?"
L'histoire de La Mort de Dante Lazarescu est nourrie des angoisses du réalisateur, qui confie : "J'ai peur de mourir. Quand en 2001, mon premier film, Le Matos et la Thune, a été sélectionné à Cannes, j'ai connu une longue dépression qui a duré deux ans. A ce moment-là, mon hypocondrie aigüe s'est déclenchée. J'ai parfois, aujourd'hui encore, des angoisses et des états d'anxiété assez profonds. Inconsciemment, j'avais le sentiment que toutes les cellules qui me composaient allaient disparaître. [Le cinéma] m'aide à vivre, à exorciser mes peurs. Ce film-là reflète mes crises d'hypercondrie. Pendant deux ans, j'ai voyagé sur le net pour m'expliquer les problèmes de santé que je croyais avoir. Un caillou dans les reins, c'est l'expression parfaite de la souffrance. Il me faut la sortir du corps et lui donner forme à travers le cinéma."