Introduit à la filmographie de Marcel Carné avec *Le Quai des brumes* que j'avais adoré, je la poursuis avec ces *Visiteurs du soir* qui change totalement de registre tant dans le contexte de production que dans le ton donné.
Le film prend place à la fin du XVe siècle, dans une contrée inconnue que le début du film nous présente à travers de magnifiques plans généraux. Deux personnages, Gilles et et Dominique, déambulent à travers ce paysage et atteignent les portes d'un château blanc au sein duquel ils vont demander l'hospitalité. Ces deux personnages sont en fait envoyés par Satan en personne pour "désespérer les humains".
Il s'agit donc d'un film fantastique produit en 1942, en pleine seconde guerre mondiale. L'argument du fantastique a donc une forte valeur métaphorique et dénonciatrice (l'occupation, le régime de Vichy, la sournoiserie des allemands et la résistance). En tant que spectateur du XXIe siècle, il me semble que le film fonctionne moins bien, du moins en seconde partie, que pour les spectateur de l'époque, à qui le film était destiné en premier lieu.
En effet, la première heure du film est géniale. Nous sommes introduits à une galerie de personnages intéressants, attachants et intrigants mais surtout à un univers en dehors de l'espace et du temps. Ce château semble être à l'abri de tous les malheurs du monde et les événements qui vont avoir lieu n'en seront que plus forts. Je dois avouer que l'actrice qui interprète Anne est juste magnifique, on comprend facilement que Gilles, interprété par Alain Cuny, en tombe amoureux aussi facilement. Arletty, campant le personnage de Dominique, est plus froide, calculatrice mais extrêmement puissante dans son rôle.
Le film peut sembler manichéen, mais le contexte de production et le réalisme poétique font que l'écriture se doit d'être aussi tranchée pour laisser surtout place à des dialogues, signés de la main de Jacques Prévert. Lorsque les personnages parlent, on a l'impression d'entendre de la poésie plus que de vrais dialogues, et c'est aussi ce qui fait le charme du réalisme poétique, cette frontière jamais totalement franchie, parcourue telle un funambule sur le fil, entre tragédie et naturalisme, toujours crédible.
Là où le bas blesse selon moi, c'est dans la seconde heure, qui propose des séquences et un développement scénaristique très intéressants, mais le tout se révèle assez niais et on flirte parfois trop avec la mièvrerie, difficile à accepter pour le spectateur contemporain que je suis. Alain Cuny, qui jusqu'ici proposait un jeu plus en retenu et en nuances, ne se révèle pas tant à l'aise que ça dans cette seconde partie, proposant un jeu trop théâtral, trop surjoué, à la limite parfois du ridicule (du moins à travers les yeux d'un contemporain j'imagine) contrairement à une Marie Déa toute en justesse et en finesse, la véritable révélation du film selon moi.
Dans un contexte de crise, où résistance était de mise et l'oppression enlevait tout espoir chez les hommes, je comprends la puissance de ce film qui met sur un piédestal le rêve et l'amour, mais dans un contexte actuel plus nuancé, le film peut donner l'impression d'en faire beaucoup trop. Néanmoins, le charisme intemporel des interprètes, la finesse de réalisation de Carné et la beauté de la composition de Joseph Kosma et Maurice Thiriet font de ces *Visiteurs du soir* un film encore très agréable à regarder, un conte cinématographique des temps modernes, magnifié par la plume de Prévert.
A voir.