Classique du film de vampire trop méconnu, Vampyr est un récit fascinant composé par le grand cinéaste danois Carl Théodor Dreyer. Un génie dont j'ai eu vent, et qu'il fallait que je découvre par le biais d'un genre qui m'est cher, le fantastique. Mais ce qui m'a attiré est aussi le fait que Vampyr est son premier film parlant, mais où les paroles ont peu d'importance. Une atmosphère brumeuse et vieillotte est érigée avec soin, elle nous enveloppe dans un rayon d'étrange qui nous fait doucement tout oublier de notre vie pour nous ancrer dans ce monde à part, et pourtant si familier, puisque l'histoire se déroule en France ! Et oui, et nos beaux paysages typiquement reconnaissables sont enfin exploité à des fins imaginaires et non lyriques, quoiqu'ils en sont tellement gravé qu'un soupçon de romantisme sous-jacent parcourt les scènes dans les praires et le bois. Les décors aussi reconnaissables que possibles mais transformés par une photographie spectrale nous cloisonnent dans un espace intemporel. Les acteurs trop vieux pour que j'en connaisse un seul semblent sortir d'un vieux livre, leur physionomie elle aussi métamorphosée par la mise en scène hallucinatoire complète ce tableau peu à peu dévoilé au fil des péripéties. Pendant les trois quart du film David Gray (Allan Gray en version allemande) explore et constate voire subit ce qu'il voit au fur et à mesure, en même temps que nous autres spectateurs. Pour une œuvre de 1932, j'ai été surpris de l'angoisse imprévisible et tenace qui venait me chatouiller de temps à autres...créée par l'élaboration ultra cohérente d'un mystère lentement révélé. La visite de l'entrepôt-crypte au bord de la mer est une séquence des plus réussites, jouant malignement sur des effets d'ombres que l'époque permettait sans aucun ridicule. En effet, Vampyr est un film qui a très bien vieillit, car c'est avant tout un film d'ambiance. La musique contribue elle aussi à ce suspens saisissant qui habite ces excursions dans différents lieux atypiques. Le moment précis m'ayant le plus effrayé est le subit sourire carnassier qui se dessine sur le visage de Léone (Sibylle Schmitz) lorsque sa soif de sang refait surface et qu'elle suit de son regard de prédateur les mouvements de sa sœur (de la chair fraîche...) Gisèle (Rena Mandel). Cela ne dure que quelques secondes, mais c'est sublime et intense. Les « rêves » qui interviennent sont également des instants fantasmagoriques, et la vision du futur probable du héros est une vision presque aveuglante de métaphores sur la religion, la lumière du ciel perçant les tours des clochers représentant l'ouverture vers la mort. Tout comme les images du ciel nuageux entrecoupés d'éclaircies et d'une girouette à contre jour qui se manifestent brièvement en renforçant l'accent du « territoire dangereux » à chaque réapparition. Les deux scènes annonçant la fin ont été censurées : il s'agit de l'exécution du vampire, beaucoup plus puissante en version intégrale, et de celle du docteur, qui diffère peu dans les deux cas, qui m'a cloué devant cette cruauté, amollissant peu à peu mon pardon face à ce sort qu'un homme de bien lui réserve. La traversée de la rivière et la remontée vers le jour semblent alors miraculeuse et le film nous libère alors à nous aussi de cette aventure chimèrique.
Je n'ai pas besoin d'en dire plus et de m'épandre sur des considérations techniques ou analytique, ce chef d’œuvre se vit et se raconte, mais je préfère éviter de le décortiquer en détail pour ne pas lui enlever son charme poussiéreux indescriptible.