Le juge, c’est Gilles Boulouque, de la section antiterroriste de Paris. C’est lui le juge de «l’affaire Gordji». En 1986, son enquête sur les attentats de Paris l’amène à la conviction du rôle joué par Wahid Gordji, traducteur à l’ambassade d’Iran. Celui-ci refuse pendant des mois de répondre à la convocation du juge, jusqu’au jour où deux otages du Liban sont libérés. Gordji accepte alors d’être auditionné, sachant qu’à sa sortie, un jet l’attend pour le reconduire en Iran. La presse se déchaîne, et en bon petit soldat, le juge endosse en silence la responsabilité de cette décision.
En pleine cohabitation et à l’approche de l’élection présidentielle, l’affaire Grodji devient un enjeu de la campagne. Le film montre d’ailleurs le passage du débat entre Chirac et Mitterrand où le premier ministre défie le président de contester qu’ils aient été d’accord sur le départ de Gordji, et où Mitterrand répond : «Dans les yeux, je le conteste…» Abandonné à la raison d’état et au jeu politique, le juge Boulouque est inculpé de violation du secret de l’instruction. Profondément atteint, il se suicide le 12 décembre 1990. Sa fille Clémence avait 13 ans.
Le film commence en septembre 2001, à New York, où Clémence était partie étudier, et fuir le terrorisme qui lui avait volé son enfance. Il se construit ensuite comme la mise en images de son texte, lu par Elsa Zylbertein. Des films familiaux en super-8 ou en VHS, des photographies de vacances, des unes de quotidiens et de nombreux extraits des journaux télévisés de l’époque servent à cette illustration. A cet égard, la déclaration de Chirac, alors premier ministre, et déclarant le jour de l’attentat de la Rue de Rennes que «quand la France aura retrouvé la puissance étrangère qui se trouve derrière ces attentats, la riposte sera fulgurante» prend tout son relief au regard de la suite…
Même s’il permet de se remettre en mémoire ces événements, le sujet de ce film n’est pas l’affaire Gordji, ni même le rapport de la Justice et de la raison d’état. Le point de vue est celui d’une petite fille de six ans, qui raconte l’irruption des gardes du corps dans sa vie, les vacances repoussées jour après jour au bon vouloir de M. Gordji, le retour de son père le soir de l’audition («Et maintenant, je vais m’en prendre plein la gueule…»), le pistolet qui allait le tuer qu’il place dans la main de sa fille sur une plage d’hiver («si petit et si lourd...»). Elle parle aussi de son remord à elle, d’avoir commencé son adolescence et de l’avoir repoussé comme toutes les filles de treize ans, alors qu’il ne lui restait que quelques mois à vivre.
Le texte très littéraire est bouleversant, parce qu’il a été porté pendant des années, et que chaque mot, chaque image renvoie à une souffrance indicible. Dommage que le réalisateur ne s’en soit pas tenu à ce seul texte, et ait rajouté inutilement musique, bruitage et effets de zoom comme dans ces émissions qui pullulent aujourd’hui («Secret d’actualité», «Faites entrer l’accusé»).
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