Spike Lee est un petit filou. Il nous donne des indices, à commencer par le titre : quel est donc cet homme à l'intérieur ? Pourquoi ce premier plan frontal où Clive Owen nous livre la préface, tout en nous annonçant qu'il ne répète jamais les choses ? Lui, non. Mais Spike Lee ! Et ses indices sont tout aussi trompeurs que bien des éléments traditionnels du polar : armes, butin, victimes... Trois hommes et une femme habillés en peintres pénètrent dans une banque de Manhattan, sortent des AK-47 et prennent en otages une cinquantaine de personnes, employés ou clients. Ils les forcent à s'habiller comme eux, avec combinaisons et masques.
La police arrive, boucle les lieux et désigne l'inspecteur Frazier comme négociateur. En même temps, le président de la banque semble vraiment inquiet, et engage une agente très spéciale qui use de chantage pour obtenir un entretien avec le chefs des preneurs d'otages. Celui-ci réclame un avion, et fait semblant de croire les atermoiements de Frazier, comme si la police allait donner un jumbo jet à des gangsters aux intentions inconnus, quatre ans après le 11 septembre. Mais que veulent-ils vraiment, ces malfaiteurs qui délaissent des montagnes de billets ? Et comment comptent-ils sortir, surtout quand leur chef proclame que ce sera par la porte de devant ?
L'intrigue est un véritable puzzle, ou plutôt une poupée russe : de nouvelles complications apparaissent au fur et à mesure que l'on change de lieu , de personnage ou de point de vue. Et en même temps, on sait très vite que les braqueurs ont pu s'enfuir, sans doute mêlés aux otages, puisqu'on les voit interrogés par Frazier et son adjoint, visiblement après le dénouement du braquage.
On est loin de la tension dramatique d'"Un après-midi de chien", autre histoire de prise d'otages dans une banque : même si le début du hold-up est filmé avec tension et nervosité, très vite l'humour apparaît, celui du chef du gang, celui de Frazier, et surtout celui de Spike Lee. Comme Polanski filmant Nicholson dans "Chinatown" avec un énorme pansement sur le nez ou Terry Gilliam enfouissant De Niro sous un scaphandre d'éboueur dans "Brazil", il dissimule Clive Owen derrière un masque pendant 90% de la durée du film. "Inside Man" vaut aussi par la qualité de l'interprétation des acteurs, particulièrement Denzel Washington, plus adorablement canaille que jamais, et Jodie Foster, working-girl élégante et peu scrupuleuse. Mais Willian Dafoe, Christopher Plummer et Clive Owens sont impeccables aussi.
Et puis, au-delà du plaisir de débrouiller l'écheveau de cette intrigue labyrinthique, on retrouve la patte de Spike Lee dans plein de petits détails sur la vie new-yorkaise : on y parle albanais, mais on confond Albanie et Arménie, un otage sikh libéré est molesté par les flics du NYPD qui le prennent pour un arabe, une interprète albanaise bénévole remplace celui de l'ambassade qui veut se faire payer, mais arrive avec un sac complet de contredanses à faire sauter, et flics et voyous jouent à des énigmes dignes de Pierre Bellemarre... Malgré une ou deux longueurs, les deux heures passent vite, accrochés que nous sommes par les nombreuses questions à élucider, du petit détail crapuleux aux grands crimes de l'Histoire.
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