Stylistiquement, ce film affirme le goût pour le "théâtre filmé" de Quentin Tarantino, et ceci se voit d'autant plus qu'il s'agit a priori d'un "film de guerre". C'est le film des paradoxes dérangeants, et certainement le plus subversif que le Tarantino auteur ait jamais écrit. C'est peut-être pour cette raison que ce film ait souvent mal compris, car il va à rebrousse poil de nos habitudes de pensées. Ils désacralisent totalement la perception habituelle de la Seconde Guerre Mondiale : au lieu de nous présenter le mal incarné, la perversion sadique fantasmé d'un ennemi dénué d'empathie face à de courageux héros de la liberté, il prend le risque d'humaniser le soldat nazi et de nous présenter les "héros" comme des brutes épaisses sans finesse et calamiteux. Pas de méchant savant sadique ici, ou d'officier qui tue comme il respire aussi bien les opprimés que ses subordonnées insufisamment compétents à ses yeux (on n'est pas dans Captain America, quoi). Non rien de tous les clichés habituels propre aux films de science fiction qui s'écrivent sur le mode de la fable. Au contraire, le film nous met au défi de rester attachés à ceux qui sont *a priori* perçus comme les héros du film, en nous les représentant comme des barbares adeptes du scalping et du skull bashing, qui paraissent d'autant plus cruels que ces pratiques sont exercées sur des hommes a priori honorables (l'officier incarné par Richard Sammel qui donne sa vie pour sauver celles de jeunes soldats). La plus grosse difficulté du film est sans doute là : dans l'incapacité que l'on a à s'identifier aux personnages, et ce d'autant moins que leurs adversaires sont étonnamment humains, voire pathétiques, ne donnant dans sa narration aucune justification à la violence du "camp du bien", autre que nos propres présupposés. Même le personnage de Mélanie Laurent (Shosanna Dreyfus) ne doit la sympathie du public qu'à son drame personnel, seul point d'accroche émotionnel de ce personnage par ailleurs très froid et déterminé
(la séquence où elle force un technicien a développé son film est très révélatrice)
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Tarantino désacralise même Hitler avec une version parodique que n'aurait pas renié Chaplin ou l'équipe du Splendide, un Hitler émotif et colérique, apeuré par la violence inouïe des "Basterds" ! Certes, la figure du colonel Hans Landa semble correspondre à l'archétype de l'officier nazi froid et calculateur ; mais même ce personnage se révèle être plein d'ambiguïtés, car nullement attaché à l'idéologie nazie et mue par une ambition carriériste et opportunisme, qui ne fait que s'adapter au contexte, et ainsi nous éclaire sur ce que sont les coulisses de l'histoire des guerres
lorsqu'il finit par négocier son alliance avec les basterds
. Pour le reste des nazis, à bien des égards, la manière dont les nazis sont dépeints par Tarantino, cette désacralisation du mal absolu en une version plus pathétique mêlant pêle-mêle les hommes d'honneur, les narcissiques, les arrivistes, les naïfs, les balourds, rappelle la rupture de ton que l'on peut ressentir quand on passe de la figure romanesque du gangster des films "Le Parrain" à la version "beauf" du film "Les Affranchis". Il y a ce même "désenchantement" chez Tarantino que chez Scorsese sur ce point. D'autant plus flagrant que, encore une fois, les "héros" sont particulièrement balourds et amènent naturellement à des séquences comiques
comme celle où Aldo Rayne se voit incapable d'articuler correctement un seul mot d'Italien
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L'humour est d'ailleurs omniprésent, même si c'est souvent sous une forme très grinçante et peu saillante : il y a un ton un peu goguenard, presque potache, tout le long du film qui se délecte de jouer dans une zone très sensible de l'histoire pour y compter une tragédie de la folie ordinaire avec des personnages à la limite du grotesque.
A noter aussi, les clins d'oeil très lourds de sens une fois qu'on les a repérés : la formidable scène de la taverne souterraine, où ils nous ait présenté des troufions de l'armée allemande jouant à un jeu de culture générale dans lequel les héros ne se sentent pas de taille, Tarantino place gratuitement deux références particulière : la première est celle de Winnetou, le héro Apache d'un romancier allemand qui rappelle que le sort des amérindiens n'était pas inconnu des allemands et que ces derniers avaient une certaine admiration pour eux, de la sympathie pour leur cause, et donc une certaine sensibilité quant à la question de leur génocide. La seconde est l'allusion très grinçante à l'esclavage des noirs aux US, amenée méthodiquement dans le dialogue par une référence à King Kong. Le sens peut échapper à un public européen pour lequel l'histoire du nazisme est perçu comme central et endogène, tandis que du point de vue américain, le combat contre le nazisme, ennemi exogène, peut se réduire à une bonne action généreuse et héroïque menée pour combattre "le Mal", souvent utilisé inconsciemment comme l'acte qui absout tout leur pêché et la preuve qu'ils incarnent "le Bien", ce que Tarantino met clairement en doute dans cette relecture métaphorique de la Seconde Guerre mondiale.
Autre angle notable esquissé mais omniprésent est celui de la question de l'utilisation du cinéma par les propagandes de tout régime. Le cinéma a un rôle central dans ce film de façon plus ou moins métaphorique et c'est une autre lecture que je ne peux que vous inviter à essayer de relever si ce n'est déjà fait.
Enfin, cette critique ne serait pas juste si elle ne soulignait pas l'excellent jeu d'acteur de l'ensemble du casting. De Hellström à M. Lapadite en passant par Frau Hammerschmack, je ne crois pas avoir relevé de fausse note si ce n'est un Mike Myers un peu étrange dans sa version de l'officier britannique ou Daniel Brühl peut-être un peu trop "académique", sans que cela gâche son personnage. Porté par des dialogues jouissifs, et une photographie exceptionnelle (certains plans sont de vrais tableaux - il suffit de scruter toute la première partie à la ferme pour constater à quel point l'image est soignée), tout cela contribue à donner à ce film un charme de futur grand classique.