Sixième film de M. Night Shyamalan, ''La jeune fille de l'eau'' marquait le détachement du réalisateur avec la critique. Le film fut aussi l'un des très rares échecs commerciaux de Shyamalan, lequel est ensuite parti vers le blockbuster pour revenir ensuite à de ''petis'' films indépendants. Quoi qu'il en soit, ''La jeune fille de l'eau'', en plus d' un échec critique et public, a sombré dans l'oubli. Shyamalan a même reçu pour ce film deux Razzies Awards : celui du Pire Réalisateur et celui du Pire Acteur dans un second rôle. Cette réputation est assez injuste tant le film offre des choses vraiment intéressantes.
Cleverland Heed (Paul Giamatti) est le gardien d'un immeuble habité par des gens haut en couleur. Un jour, il découvre dans la piscine de la résidence une jeune femme. Celle-ci, nommée Story (Bryce Dallas Howard) est une nymphe venue du Monde Bleu. Cleverland, très vite aidé par les habitants de l'immeuble va tout mettre en œuvre pour que Story retourne dans son monde. Mais le temps presse, d'autant plus qu'une terrifiante créature semble poursuivre cette jeune fille de l'eau.
''La jeune fille de l'eau'' est un film désarçonnant. D'un registre plus léger que les autres œuvres de Shyamalan, ''La jeune fille de l'eau'' est bien entendu un conte. Et comme dans tous les contes (mais aussi comme dans tous les films de son réalisateur) la symbolique y est omniprésente. Seulement voilà, là où, habituellement, le symbolique se dissimule derrière l'histoire qui nous est racontée, ce n'est pas le cas avec ce film. En effet, ici, tout n'est que symboles et signes. Chaque élément est à décrypter et à déchiffrer. Chaque élément, mais aussi chaque être humain. Pour repartir chez elle, Story doit trouver des hommes aux aptitudes bien spécifiques (du genre ''le guérisseur'' ou ''la guilde''). C'est ce qui déconcerte le spectateur : la fonction des protagonistes, d'habitude sous-entendus au cinéma et dans les contes, est révélée. Les protagonistes doivent deviner quel est leur but, et même, leur rôle à jouer dans cette histoire. Cela nous amène au thème principal du film (et de toute la filmographie du metteur-en-scène) : la prédestination de tous les êtres. Shyamalan le dit lui-même : ''quand je vois des gens qui ne rayonnent pas […] c'est parce qu'ils ne font pas ce qu'ils sont censés faire. Ils n'ont pas encore touvé leur but ici bas''. Cette idée – qu'un être doive accomplir sa destinée- est récurrent dans la filmographie de son auteur.
Ainsi, dans ''Incassable'' (2000), le triste David Dunn s'accomplira en devenant un super-héros (il se libérera de sa tristesse matinale). Et Kevin dans ''Split'' (2017) est l'être prédestiné à accueillir la ''Bête'
'. Dans les films de Shyamalan, les personnages mènent une quête identitaire pour comprendre qui ils sont vraiment. Ici, ce n'est pas Story qui a un parcours du personnage, mais les habitants de l'immeuble. Plusieurs fois d'ailleurs, les membres de l'immeuble se tromperont sur leur fonction (cela s'oppose à ce que dira le Dr. Fletsher et Kevin dans ''Split'' : ''On est ce qu'on croit être''). Souvent, c'est en cherchant notre place qu'on finit par la créer (
Elijah devient dans ''Incassable'' l'antagoniste de David en cherchant à son tour à savoir qui il est vraiment)
. Sur cette idée de prédestination, ''La jeune fille de l'eau'' s'est vue violemment attaquée en raison du rôle que s'est donné Shyamalan. Story recherche un écrivain en perte d'inspiration pour le prévenir de ne pas baisser les bras. Car le roman de l'écrivain passera à la postérité et deviendra un ouvrage qui changera le monde. Or, Shyamalan s'est distribué dans le rôle de l'écrivain. Ce qui lui a valut d'être traité de mysthico-mégalomane. Mais inutile de charger à ce point Shyamalan. Le personnage qu'il incarne n'est pas seulement son porte-parole, mais plus généralement celui de l'artiste. C'est l'artiste qui dans ce film sauve et change le monde. Dès lors, on peut voir avec Story une métaphore : celle de la muse et de l'inspiration qui vient souffler à Shyamalan ce qu'il doit écrire. Amusant de voir que la destinée du personnage se rapproche de celle que connaîtra le réalisateur. En effet, Story prédit que l'écrivain sera tué rapidemment mais que son œuvre deviendra très célèbre. Et Shyamalan aussi sera tué par la critique et le public (avec les films suivants : ''Phénomènes'', ''Le dernier maître de l'air'' et ''After Earth'') avant de revenir sur le devant de la scène (avec ''The visit'' et ''Split''). Bien sûr, ce qui a dû aussi déplaire aux critiques professionnelles, c'est précisément le protagoniste du critique cinématographique. Personnage un peu trop caricatural (il est evidemment aigri), il surprend en brisant le quatrième mur (en disant carrément se trouver dans un film tout public).
Pour autant, ''La jeune fille de l'eau'' est un film qui comporte plusieurs failles. Rien à redire sur la mise en scène toujours aussi efficace de M. Night Shyamalan (dont les mouvements de caméra rappellent ceux d'Hitchcock et dont les jeux de reflet amènent à croire en plusieurs réalités). Aidé par la photographie de Christopher Doyle (ancien chef op' de Wong Kar Wai), Shyamalan, peut-être encore plus que dans ses autres œuvres, apporte un grand soin à la composition de ses plans et du cadre (et choix classique et judicieux, ne met jamais en pelin jour la créature qui traque Story). C'est le scénario qui pêche par moment. Il privilégie trop les dialogues surexplicatifs à l'action. Explications qui se révélent en plus redondantes après le prologue dessiné. Ainsi, on a pendant une partie du film un coup d'avance sur les protagonistes, ce qui rend les explications un poil longuettes. ''La jeune fille de l'eau'' et aussi une œuvre moins marquante que d'autres films du réalisateur. La noirceur y est moins présente, l'humour qui la remplace n'est pas toujours d'une très grande utilité. Et l'absence de twist final, s'il prouve que Shyamalan ne se sent pas obligé d'en mettre un par film, enlève un peu à la singularité du film.
Les thèmes de Shyamalan (prédestination, questionnement de et sur soi, possibilité d'un autre monde) et ses personnages (tourmentés ou doués d'un handicap ; ici Cleverland combine les deux : atteint de bégaiement, il est hanté par la mort de sa femme et de ses enfants) sont présents ; la noirceur aussi, quoique perçée d'une délicate lumière. Et comme souvent, Shyamalan parvient à rendre intimiste un genre (le conte) qui ne l'est pas forcément.''La jeune fille de l'eau'' est en conclusion un film extrêmement sous-estimé qui mérite d'être redécouvert.