Le seul véritable intérêt de « Chacun sa chance » réalisé en 1930 par Hans Steinhoff et René Pujol est d’être officiellement le premier film tourné par Jean Gabin qui reste encore à ce jour le plus grand acteur de l’histoire du cinéma français. Gérard Depardieu a un temps fait figure de successeur mais sa lente descente à partir de l’échec de « 1492, Christophe Colomb » (Ridley Scott en 1992) dans les affres des productions sans âme (plus de 200 films à son actif) a montré que dès l’âge de 44 ans l’acteur de « 1900 », « Buffet froid », « Le sucre », « Danton » ou encore « Cyrano de Bergerac » n’avait plus vraiment de motivation artistique. Son compagnon d’armes Patrick Dewaere a quitté les écrans dès 1982 emporté par un mal-être insurmontable. Michel Piccoli, certainement l’un des acteurs les plus brillants de sa génération aura la plupart du temps choisi avec bonheur les chemins de traverse. Daniel Auteuil très éclectique et minutieux dans ses choix à l’image de Gabin n’a pas pu conduire sa dernière partie de carrière comme il l’aurait souhaité, les scénarios actuels formatés ou indigents ne lui laissant guère de place pour exprimer son immense talent. Alain Delon et Jean-Paul Belmondo, les fils putatifs de « Gabin » qui ont pu tourner avec leur maître, ont dès les années 1980 remisé au placard toute prétention artistique. D’autres acteurs très brillants comme Michel Simon, Louis Jouvet, Bernard Blier, Gérard Philipe, Bourvil, Michel Serrault, Philippe Noiret, Jean-Pierre Marielle, Jean-Louis Trintignant, Jean Rochefort ou Niels Arestrup ont des registres plus limités, n’ont pas occupé en permanence les premiers rôles ou sont partis trop tôt.
Donc « Chacun sa chance » le bien-nommé ouvre la voie à une prestigieuse carrière comptant 95 films sur 46 ans qui s’achèvera sur « L’Année sainte » (Jean Girault en 1976). Deux titres symboliques de l’étape que chacun écrit d’un parcours jalonné d’une grosse douzaine de chefs d’œuvre, d’une trentaine de films de première importance, d’une autre trentaine de films respectables et enfin d’une petite quinzaine de longs métrages anecdotiques voire dispensables. Production franco-allemande, « Chacun sa chance » voit Jean Gabin encore chansonnier tenir son premier, premier rôle à l’écran aux côtés de Gaby Basset son ex-femme qu’il n’oubliera jamais de faire tourner une fois la célébrité arrivée (sept films jusqu’en 1959).
Dans cette comédie musicale très légère, ils sont deux ouvriers pris dans un quiproquo les introduisant pour une folle nuit dans le grand monde, chacun séduisant l’autre sous une autre identité que la sienne véritable. Le scénario use jusqu’à la corde l’imbroglio monté de toute pièce et plutôt mal amené par un scénario écrit avec les pieds par Richard Arvay et Charlie Roenllinghoff. Tout sonne faux et Jean Gabin semble plutôt emprunté, se demandant peut-être après ce film médiocre si le cinéma est vraiment une bonne option pour lui qui connaît alors le succès sur les planches. Reste tout de même l’entraînante et jolie chanson « Pour être encore plus heureux » de René Pujol entonnée par les deux amoureux tout à la joie du merveilleux hasard qui les a réunis. Ne soyons tout de même pas trop dur avec ce qui est alors l’un des films inauguraux du cinéma parlant français et qui a eu le mérite on l’a dit de placer pour la première fois le nom de Jean Gabin en tête d’un générique.