Un film puissant ! Contrairement à de nombreuses critiques positives ou négatives je ne vois pas dans le "monde de l'entreprise" et la Shoah les thèmes principaux du film. L'axe autour duquel tout s'articule serait plutôt le corps. Le corps et ses sécrétions, le corps et ses désirs, le corps et ses souffrances, le corps et ses plaisirs... mais aussi le corps et son contrôle par le pouvoir, son assujettissement, sa mise en conformité planifiée, hygiéniste, soumis, souvent nié au profit d'une pure activité cérébrale. En ce sens la dimension intellectuelle de l'œuvre est très réduite. C'est moins un film à comprendre qu'un film à saisir sensiblement, avec la chair, à expérimenter, et d'abord par notre condition de spectateurs, corps agencés en quinconce, rivés aux fauteuils du cinéma, immobiles, passifs.
Le "monde de l'entreprise" prend sa place en tant que dispositif prééminent de cet assujettissement, le travail comme LE moyen actuel de contrôle et de calibrage des corps, le plus puissant, le plus répandu. Le parallèle avec la Shoah (bien que découlant d'une méthode un peu ambigüe et critiquable) ne sert qu'à mettre en relief cette réalité présente. Il montre le phénomène comme une constante historique, une nécessité pour TOUS les pouvoirs, de contrôler, punir, calibrer les corps, exterminer ce qu'ils contiennent de vivant et de subversifs. L'exemple de l'holocauste étant certainement le plus connu, le plus significatif pour tout le monde, le plus parlant.
Pour ce qui est de la forme du film, je trouve qu'elle sert assez bien le fond. On trouve le temps long à certains moments (mais n'est-ce pas un reflet de la réalité qui veut être représenté?), les cadrages sont parfois un peu spéciaux, ce qui torture l'espace dans lequel se déroulent les dialogues (mais n'y a t'il pas un parallèle à faire avec la déformation, la mutilation des corps ?). Au final, c'est un film plutôt réussi, original. Un film politique comme j'en avais pas vue depuis longtemps. On aimerait juste un peu plus de vie, de joie d'affirmation, de positivité. La vie ne se réduit pas à ce vide, à la superficialité débile d'un cadre, à l'horreur du pouvoir...