Si le Far West est reconnu pour son aura de violence, il est également permis de la conter et de la rêver. C’est aux antipodes des codes du genre que l’on dessert la vis et Delmer Daves l’exécute avec une grande sensibilité. Les habitués pourront déguster chaque étape décisive dans le cycle de la violence, tandis que les nouveaux regards pourront pleinement profiter de la fantaisie, masquée par le sens moral de la justice, celle qui éclaire et celle qui redonne espoir aux plus démunis. Et au milieu de cette aventure, quasi anti-spectaculaire, le cinéaste développe un buddy-movie bien singulier. La légitime défense est invoquée dès l’ouverture, dans le seul objectif de redonner une chance à un fermier, qui ne souhaite que regagner sa dignité, son autorité et son humanité d’autrefois.
Le programme est simple. Un bandit arrêté doit embarquer dans le prochain train pour Yuma, une cité que l’on ne fantasme que par sa délivrance et sans doute sa foi en la justice. La destination n’est pas pour tous les voyageurs et surtout pas pour ceux qui ont la force de galoper où qu’ils veuillent avec leur monture. Autrement, c’est la prison qui les attend. L’intrigue ouvre ainsi sur une plaine, synonyme de liberté, tout en rappelant les enjeux à venir et la force de la patience des héros, qu’ils soient finalement bons ou mauvais. Et alors qu’un hold-up tourne au meurtre, c’est la rencontre entre le berger et l’agneau égaré qui changera tout. La complicité de Ben Wade (Glenn Ford) et Dan (Van Heflin) n’est pas de suite évidente, mais le deviendra dans des parenthèses de réflexion, parfaitement cohérente avec le fait qu’ils attendent tous les deux une correspondance.
L’image du vaurien prend alors des allures de gentleman, lorsqu’il séduit la Barmaid (Felicia Farr). Et un peu plus tard lors d’un repas, où il peut sembler défier l’ordre et la foi, il fait surtout preuve d’un bon sens et d’une retenue particulièrement fascinante. La proximité du bourreau et ses victimes crée une atmosphère cynique, où l’on accentue chaque tentative de ruse ou de corruption. Le dilemme pourrait être davantage cornélien, mais pas pour Dan, qui malgré ses difficultés financières, possède un tout autre enjeu qui placera de l’espoir en sa famille. Par ailleurs, il reste son épouse (Leora Dana) à convaincre, davantage satisfaite par la personnalité du bandit, un homme capable de se reprendre en main. Le défi est donc de taille pour Dan, qui verra peu à peu ses alliés déserter sa quête, qui danse sur plusieurs niveaux de lecture.
La solitude du héros frappe sans prévenir, à chaque instant d’hésitation, alors qu’il apprend à connaître et à dompter son prisonnier. Tous deux s’élèveront dans un duel intense, où la diplomatie sera le grand terrain de jeu, avant que l’on ne s’avance crescendo vers une fusillade plus convenue, mais aux enjeux extrêmement chargés. Cette rencontre transcende ainsi Dan de la meilleure des façons possibles. « 3h10 pour Yuma » (3 :10 to Yuma) est fait de héros incarnés et vivants, qui trébuchent certes, mais qui peuvent également surmonter leur démon, notamment celui qui frappe les terres arides, dévoilées en ouverture et sublimées par un noir et blanc des plus emblématiques. L’intelligence de l’écriture passe également par le cadrage, qui surprend sans cesse son spectateur, qui pourrait croire que le rythme en est impacté. Au contraire, ce point est plus que bonifié autour d’une bonne rétrospective des âmes de l’ouest.