En 2004, Asghar Farhadi se doutait-il qu'il allait devenir un grand nom du cinéma international? Le souhaitait-il? Travaillait-il pour cela? En même temps, il y a chez lui un constant souçi de rester iranien, de travailler pour les iraniens, de ne rien montrer donc qui ne soit acceptable par la censure, même lorsque cela conduit à des images grotesques, genre: l'héroïne se met au lit en gardant son foulard bien serré sur la tête, alors qu'elle est seule avec son chat (femelle......). On se souvient d'Elly, noyée très digne ne laissant pas apparaître une mèche de cheveux.... Ah mais!
Mais en même temps, ce qui est passionnant, c'est qu'on en apprend bien plus sur cet Etat déroutant, son système juridique à tous points de vue délirant, le poids de l'Islam, que dans n'importe quelle thèse de sociologie..... A cet égard, Les enfants de Belle Ville est formidable -à voir absolument- quoiqu'en dise le grinchu de téléobs, car ces effets de suspense qu'il condamne, ce sont justement les allers et venues de consciences conditionnées par la religion, qui cherchent leur chemin parmi des interprétations contradictoires. Donc, c'est vrai: pour apprécier ce film, il faut se passionner pour les religions et les problèmes de conscience.... on est bien loin des petites histoires de cul entre amis qui réjouissent les critiques à la mode.
Akbar est en prison, à Belle Ville, surveillé par des gardiens plutôt humains. Il a atteint ses 18 ans: il est donc passible de la peine de mort. Le film s'ouvre au moment de son transfert dans une prison pour adultes. C'est qu'à 16 ans, il a "suicidé" une jeune fille, son amoureuse, qu'on devait marier à un autre -et qu'il a omis de se suicider à son tour. La vie sauve, il ne peut la devoir qu'à Abolghasem (Faramarz Gharibian) le père déchiré. Mais pour celui çi, il n'est pas question de pardon. C'était sa fille unique, le seul souvenir de sa première épouse morte et elle aussi très chérie, il tenait à elle plus qu'à tout autre chose au monde. Il s'est remarié avec une femme qui lui sert plutôt de bonne que d'épouse, et qui a à sa charge une fille lourdement handicapée, mais on voit bien que là, il n'y a pas d'amour. La mort de l'assassin, c'est l'obsession d'Abolghasem. Il y a droit: la loi du talion est inscrite dans le Coran.
Ala (Babak Ansari) était le meilleur ami d'Akbar, à Belle Ville. Lui, c'est un petit voyou: vols en tous genre, mais il a bon coeur, et il négocie sa sortie de pénitencier pour tenter de fléchir l'intraitable Abolghasem. Il va contacter la seule famille d'Akbar, sa soeur, Firouzeh, jouée par la jolie Taraneh Alidoosti, qui sera plus tard Elly. Firouzeh vit dans un quartier sordide, elle est mère célibataire puisqu'elle a divorcé du père du petit, drogué et dealer, qui tient un kiosque minable à côté de la maison et continue à partager plus ou moins la vie de Firouzeh, il faut bien que quelqu'un garde l'enfant quand elle part travailler, elle est fille de salle à l'hopital. Vous voyez, et cela aussi est très intéressant, on est bien loin des bourgeois évolués que l'on rencontrera plus tard chez Farahdi! Ce qui est intéressant, aussi, c'est que tout n'est pas blanc. Après tout, ce jeune meurtrier qui a pris la vie de son amoureuse pour qu'elle n'appartienne pas à quelqu'un d'autre, est il bien aimable? Et ce père déchiré, qui veut la vengeance à tout prix, ne peut on le comprendre?
Les deux jeunes gens, qui sont clairement attirés l'un par l'autre, vont tout faire pour sauver le condamné, multipliant les visites chez Abolghasem, les prières à son épouse, dans un incroyable tricot d'histoires de religion et d'argent.
D'argent, oui, d'argent. C'est que, pour obtenir l'exécution de la sentence, Abolghasem doit PAYER la famille du meurtrier. Ben oui, qu'est ce que vous croyez? La vie d'un homme valant beaucoup plus que la vie d'une femme, la loi du talion s'applique, certes, mais avec la compensation financière ad hoc.... Il n'a pas d'argent. Il est prêt à vendre sa maison, à mettre sa famille à la rue. Pour son épouse, cette somme d'argent, elle servirait bien mieux à faire faire les opération qui permettraient à Ghafouri (Farad Ghaiemian), toute déjetée, de retrouver une allure et donc une vie normale....
Abolghasem est très religieux. Donc, évidemment, toute la communauté s'en mêle. Son directeur de conscience lui lit de nombreux versets qui enseignent le pardon: quand le coupable se repent, il doit être pardonné. Or, Akbar a vieilli, il a compris. Il se repent. Vous vous rendez compte de ce que c'est de vivre sous une législation religieuse qui vous laisse le choix d'appliquer la loi du talion ou de pardonner à un assassin et de le remettre en liberté? Mais il y a de quoi devenir fou!
Tractations, marchandages.... Une solution qui arrangerait tout (on se demande bien pourquoi?????) serait qu'Ala épouse Ghafouri.
Je vous le dis, c'est passionnant. Allez y: c'est une plongée dans un monde, d'une certaine façon proche du nôtre (Ala et Farouzeh vont ensemble au restaurant, elle fume à table...) et en même temps, doué d'un logiciel de pensée totalement hermétique. Allez y!