En 1974, suite aux problèmes de production de Get to know your rabbit, Brian De Palma utilise sa rancœur envers les gros studios pour écrire Phantom of the Paradise.
Ainsi, à travers cette adaptation contemporaine et déjantée à la fois du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux, du mythe de Faust et du Portrait de Dorian Gray, le cinéaste dénonce la trahison de l’art pour le profit par des producteurs cupides
(il est intéressant, plus de 20 ans avant la création de l’Auto-tune, de voir De Palma montrer comment une voix horrible peut être trafiquée pour devenir mélodieuse)
. Le cinéaste ne cherche aucunement le réalisme en n’hésitant aucunement à partir sur le chemin de la caricature
: le créateur est un homme pur qui fait preuve d’une grande naïveté (il se fait déposséder de son œuvre et reproduit le geste de Faust alors qu’il vient de composer une cantate sur le sujet), Swan de son côté est un homme maléfique uniquement motivé par l’argent et le pouvoir, le chanteur très musclé est peu intelligent…
De Palma choisit également de renforcer cet aspect irréel en mélangeant différents genres : la comédie musicale, le film fantastique, le drame ou encore la pure comédie
(l’enchaînement de séquences montrant l’expulsion de Winston de Death records, son procès et son évasion nage en plein burlesque)
.
Pour se faire, De Palma s’amuse à peaufiner sa marque de fabrique en exposant très visiblement sa mise en scène et les possibilités visuelles que lui offre le médium cinématographique : synecdoque
(les premières séquence ne laissent voir que les mains de Swan pour renforcer son importance)
, grand angle, split-screen, surimpression, caméra subjective, fermeture à l’iris, cadre dans le cadre
… De même, autre marque de fabrique du réalisateur, il ne cache nullement ses influences en multipliant les hommages : un plan-séquence montrant le trajet d’une bombe dans une voiture comme dans La Soif du mal et une parodie de la séquence de la douche de Psychose (scène qui hantera à nouveau le cinéaste notamment dans Pulsions) se retrouvent parmi d’autres références à Frankenstein, au Cabinet du docteur Caligari, à Dracula, à Sueurs froides, à L’Homme qui en savait trop…
Alors que ce style tombera parfois dans le ridicule (L’Esprit de Caïn, Femme fatale), il touche ici à la perfection avec une ambiance si originale et reste 45 ans après un objet rare dont seul The Rocky horror picture show, sorti moins d’un an après, peut se rapprocher en mettant cependant de côté les aspects plus dramatiques.