Sorti en 1978, Halloween de John Carpenter marqua le coup d'envoi à toute une flopée de slashers qui ensanglantèrent les écrans des 80's. Un phénomène qui dura une bonne décennie et dont la plupart des films ne firent finalement que dupliquer la recette créée par Big John. Un rien dégouté par cet opportunisme, celui-ci ne revint au genre que pour superviser la production chaotique de Halloween 2 confié à Rick Rosenthal, avant d'imaginer un tout autre concept à la franchise qu'il avait initiée. Sur les conseils de Nigel Kneale (célèbre scénariste des Quatermass), Carpenter décida alors de transformer la franchise Halloween en anthologie dont chaque film se présenterait comme une histoire indépendante avec pour seul point commun la fête d'Halloween. Il en soumit alors l'idée aux producteurs des deux premiers opus, Moustapha Akkad et Irwin Yablans qui collaboraient avec Dino De Laurentiis, et ceux-ci validèrent l'idée pour un essai. Exit donc Michael Myers et sa demi-soeur éplorée, Halloween 3 The Season of the witch nous proposa une toute nouvelle intrigue, pas moins horrifique mais clairement plus fantastique. Occupé à mettre la touche finale à son chef d'oeuvre polaire (The Thing), Big John confia l'écriture de ce nouvel opus à Kneale et la réalisation à son pote Tommy Lee Wallace (Ça), permettant au passage à celui-ci de faire enfin ses preuves derrière la caméra. Sans surprise quand il s'agit d'un excès d'originalité, le film fit un four au box-office à sa sortie et reste encore aujourd'hui injustement méconnu dans nos verdoyantes contrées.
Pourtant Halloween 3 Le Sang du sorcier peut aisément se voir comme un des meilleurs films de la franchise derrière l'original et aux côtés du Halloween 2 de Rick Rosenthal et du Halloween 2 de l'ami Rob Zombie (avec Michael Myers qui hallucine sur des licornes en mode oedipe).
Mais revenons-en à l'intrigue de ce troisième opus. Pourchassé par de méchants VRP en costard-cravate, Harry Grimbrige, commerçant de son état, visiblement en proie au délire, est emmené à l'hôpital d'un patelin sordide, où il est pris en charge par le docteur Daniel Challis. Quelques heures plus tard, Grimbrige est assassiné dans sa chambre et le médecin a tout juste le temps de voir son meurtrier s'immoler par le feu dans l'habitacle de sa voiture. Intrigué par cette affaire (franchement qui ne le serait pas ?), Challis décide alors d'enquêter aux côtés de la fille du défunt, Ellie, et se rend avec elle dans la ville de Santa Mira où se trouve l'usine fabriquant les masques d'Halloween que vendait Grimbrige en prévision des taquineries d'Halloween. Challis et Ellie s'infiltrent alors dans l'immense fabrique où ils découvrent le plan diabolique du vilain Mr Cochrane.
Très loin d'un banal slasher (auquel il emprunte pourtant, dans sa première partie, quelques composantes évidentes), Halloween 3 se situe plus dans la lignée des cauchemars atmosphériques de la filmo de son maître d'oeuvre, les errances de son héros (Tom Atkins, déjà employé dans Fog et Escape from New York) et les élans horrifiques de son intrigue, préfigurant pour beaucoup ceux de Prince des Ténèbres et de L'Antre de la folie. S'il n'est ici crédité que comme producteur exécutif et compositeur (ses nappes de synthé caractéristiques en guise de signature) la part de Carpenter à la conception du film reste évidente tant l'intrigue, le style et la thématique révèlent des préoccupations proches de ses marottes habituelles (hordes d'agresseurs indistincts, petite bourgade isolée, perte d'identité, contamination du mal, résolution sous forme de promesse apocalyptique). De ce retour au culte de Samain (la fête celte à l'origine d'Halloween), il se dégage en plus une atmosphère d'inquiétante étrangeté au sens véritablement freudien du terme, l'essentiel du film donnant l'impression au spectateur de voir un film dépeuplé de personnages "humains", hanté par des simulacres imposteurs annonçant la fin du monde. Ces hordes de tueurs mutiques, sortes d'automates zombiesques empruntant les oripeaux de businessmen, apparaissent ici aux ordres d'un entrepreneur aux velléités de sorcier (le très inquiétant Daniel O'Herlihy, le "Vieux" dans Robocop), bien décidé à se servir de l'industrie moderne pour propager un culte sacrificiel oublié que Carpenter et Rosenthal évoquaient déjà le temps d'un plan dans Halloween 2.
Fort d'une imagerie impressionnante, magnifiée par la photo de Dean Cundey, ce troisième opus révèle ainsi des morceaux d'étrangeté remarquables, à la lisière du fantastique pur, comme cette scène où le héros croit voir en un automate en mouvement, une vieille couturière mutique et inquiétante. Les archétypes ancestraux (automates, rites séculaires et sorciers) côtoient ici une vision kitch et post-moderne de la technologie, nourrie par l'omniprésence d'écrans télévisuels et de spot publicitaires entêtants qui critiquent, en filigrane, le pouvoir aliénant de la société de consommation véhiculé par les médias. On y trouve aussi une critique politique des années Reagan, l'omniprésence de caméras et de gardes en costume-cravate dans la petite ville de Santa Mira renvoyant de manière évidente à l'Amérique sécuritaire et ultra-libérale voulue par l'ami Ronald. Le script pointe aussi du doigt la main d'oeuvre robotisée : ici un vieil entrepreneur faussement philanthrope rejette toute main d'oeuvre humaine et élimine littéralement toute menace en s'entourant exclusivement d'automates à qui il délègue le fonctionnement de son entreprise.
Au-delà de son propos sous-jacent, le film réserve quelques séquences horrifiques (la fameuse scène de la famille "middle-class" américaine, cruellement sacrifiée par Cochrane) tellement dérangeantes qu'elles pousseront, selon la légende, le scénariste Nigel Kneale à demander à Carpenter de ne pas créditer son nom au générique. Et si le dernier acte ne manque pas de rebondissements grotesques frôlant bon le nanar (la scène too much du bras dans la voiture), le tout s'achemine vers un final proprement traumatisant, ouvert à la suggestion d'une continuité apocalyptique (récurrent dans la filmo de Carpenter) et que le maître lui-même réemploiera dix ans plus tard de manière détournée, pour conclure son excellent L'Antre de la folie.
Quelque peu oublié dans une saga cinématographique excessivement dédiée à son illustre croque-mitaine, Halloween 3 Le sang du sorcier, fait donc figure de jalon important dans la filmographie de son producteur. C'est aussi le meilleur film de Tommy Lee Wallace, lequel persistera un temps à marcher sur les traces de son mentor (It, Fright Night 2, Vampires 2) avant de sombrer discrètement dans l'oubli. Malgré quelques fautes de goûts et autres facilités plus ou moins évidentes, le film se laisse toujours regarder avec plaisir et parvient même par moments à choquer le spectateur par sa cruauté indicible et ses remarquables sursauts horrifiques. Cela reste au final un opus tout aussi original que réussi, qui révèle encore aujourd'hui le potentiel sacrifié d'une anthologie avortée, dédiée à la fête de Samain, aux silhouettes masquées et aux veilles de fin du monde.