Le décor a changé, le ciel s'est ouvert - les plans du cinéaste n'ont jamais été si beaux, si simples (les meubles sont partis, des années d'inertie se sont dissoutes, l'espace s'est vidé, et il a fallu le réinventer), si proches de la peinture. Le cinéaste est passé d'une esthétique du lugubre à des plans radicaux et forts, inventifs, souvent drôles, toujours prégnants, alternant rencontres et déambulations, jour et nuit, temps fantasmé et temps réel. Ses cadres sont comme des tableaux. Ils ont tous (TOUS!) une grâce et une évidence absolues, avec quelques lignes de fuite, des rectangles de lumière, et un corps ou deux qui s'y lovent. Pas moins désespéré, mais certainement moins statique, son cinéma décolle. Pas collé au réel, juste inspiré par lui, en faisant sa matière, il l'entraîne ailleurs. Il s'empare de l'expressionnisme allemand et en retrouve toute la terreur. Il transfigure Beckett lors de scènes minimalistes et poignantes (telle cette séquence où Ventura rend pour la première fois visite à Vanda qui dit s'être frotté les yeux avec des Dodots, sans que personne, ni Ventura ni le spectateur, ne sache ce que c'est qu'un Dodot - ou cette autre où Ventura, assis à côté de Lento (son fils, son ami, son cothurne, son collègue, son amant) tape son pied contre le sien, moment infime et tendre, vraiment bouleversant). Il embrasse également un romantisme fébrile et politique, incarné par cette lettre que Desnos déporté envoya à sa femme, et qui revient sans cesse, rythme le récit, trouve des prolongements fulgurants. Ne pas oublier. Recoller les vies entre elles. Réunir les êtres sous l'égide d'un père géant. ne jamais cesser de dire son histoire. S'inscrire dans l'Histoire de l'oppression avec rage. S'incarner, toujours. Ne pas disparaître. Résister à l'oubli que l'Etat honteux réserve aux hommes de peu.