De La Iglesia m'avait surpris plus pour sa maîtrise visuelle dans Un Jour de Chance plus que pour sa faculté à rendre intéressant son sujet, un poil trop longuet et manquant de charme à la base. Mais avec El crimo ferpecto on est en face d'une œuvre bariolé aux griffes aiguisées, qui n'a rien à voir avec son dernier film. Encore plus fulgurant au niveau esthétique, El crimo ferpecto est surtout beaucoup plus drôle et frémissant en soi, plus long et captivant par un rythme endiablé qui ne souffre de presque aucun temps morts, enfin il est pourvu d'une musique géniale qui lorgne vers le Elfman de Pee-Wee. C'est pas beau tout ça ? C'est très moche en fait, quand on considère que les trois quart du Crime farpait nous colle en gros plan une laideur indétrônable qu'Iglesia ne fait que développer avec un jubilation farceuse plutôt sadique envers le spectateur. Cela a un petit côté terrifiant, qui met mal à l'aise, et surtout qui nous fait ressentir le dégoût du pauvre Raphael. On le plaint ce gars là, on s'imagine à sa place, on se dit qu'on aurait préféré de très loin la tuer. C'est là un curieux miroir de notre inconscient que De la Iglesia nous renvoie à la tête : la laideur est monstrueuse, au point qu'on est prêt à tout pour lui échapper. Lourdes est paradoxalement très dominatrice, impétueuse, sexuellement déchaînée, et extrêmement possessive, l'apanage des beautés en cuir latex habituellement (métaphore de son for intérieur qui devient explicite à la fin du film dans un retournement de situation cynique à croquer...). Les acteurs jouent la surenchère au maximum pour étoffer les propos du réalisateur, Guillermo Toledo en fait des tonnes façon Nicholson ou Robert Downey Jr., allant parfois jusqu'à cabotiner tandis que Monica Cervera trouve un ton légèrement plus juste (tout en surjouant elle aussi). Si cela vous agace, laissez tomber directement le film, car le jeu caricatural des acteurs est une pièce indissociable de l'ensemble. La photographie démontre encore des talents d'Alex (d'ailleurs on dirait que c'est de tradition espagnole de réussir une bonne photo à son film, regardez le cinéma de Del Toro, Bayona, Cuaron...) : couleurs pétantes et contrastée, détails fantaisistes croustillants (sang bien dégoulinant, fantôme verdâtre flottant...), folies visuelles dans le style d'un Terry Gilliam ou d'un Tim Burton (celui de Pee Wee ou de Charlie et la Chocolaterie). J'espère qu'un jour De La Iglesia se lancera dans un projet formel ambitieux, comme une adaptation de comics par exemple, pour voir ce qu'il est capable de donner. Il y a aussi des références à de vieux films d'horreurs, et aux thrillers noirs et blancs, qui sont bien placés, et surtout un plan qui reprend un des moments les plus ambigus de Batman le défi ! Et d'ailleurs, si De La Iglesia tente ici une parodie, il se faire vampiriser involontairement par ce ténébreux chef d’œuvre, qui habillait d'un symbolisme lié à un animal le personnage de Catwoman, et donc le ramenait à son instinct primitif tout comme Lourdes. Fin bref c'est pas grave si vous n'avez rien compris, c'était une aparté de fan absolu du meilleur film de Burton. Quant à la bande son elle colle formidablement bien au film, qui n'aurait jamais eu la même ampleur sans cette dernière, qui fait ressortir son côté grotesque au maximum, décuplant la force de l'humour noir qui l'anime. Donc voilà, El Crimo ferpecto, c'est une comédie noire qui fait autant rire que réfléchir, et qui regorge d'idées sur le fond, tout en étant très divertissante et accessible au public. En deux mots : excellent.