Bien souvent, le problème avec les films apocalyptiques, c'est l'apocalypse. Cet axiome, maintes fois vérifié ("La Guerre des Mondes", "Indépendance Day", "Armageddon"), trouve une nouvelle fois sa confirmation dans le nouveau film d'Alex Proyas. La situation de départ, particulièrement alléchante, tient bien ses promesses. Une scène d'exposition nous montre la classe de Melle Taylor en 1959, bruissante de bambins impliqués dans le projet de léguer leurs dessins à leurs condisciples à venir un demi-siècle plus tard. L'instit que je fus dans une vie antérieure et qui avait fait écrire à ses élèves une lettre à eux-même dix ans plus tard ne pouvait être qu'attiré par un tel pitch.
Au fond de la classe, l'élève au visage de petite vieille qui avait eu cette idée de la capsule temporelle aligne frénétiquement des chiffres sur sa feuille que la maîtresse arrache, agacée, avant que la gamine médium n'ait fini. Quand cinquante ans plus tard, on descelle la boîte métallique pour distribuer aux élèves d'aujourd'hui les oeuvres de leurs prédécesseurs, l'étrange production de Lucinda Embry échoit à Caleb Koestler (Caleb, comme le personnage biblique qui fut le seul à croire à la Terre Promise, et Koestler, comme l'auteur du"Zéro et l'Infini" qui se passionna sur la fin de sa vie pour la parapsychologie), qui partage avec son aînée une gravité et une maturité qui ne semblent pas de son âge.
Toute cette première partie incarne brillament ce que doit être le fantastique : un réalisme absolu progressivement perverti par une incongruité nécessairement plausible. L'incongruité réside ici dans la signification de cette suite numérique, à savoir l'inventaire de toutes les catastrophes passées pour le spectateur, à venir pour son scripteur, en l'occurence sa scriptrice (le mot existe, c'est bon à savoir pour le scrabble). Le décryptage de ce code cataclysmique constitue un premier morceau de l'intrigue tout à fait captivant, et la présence du Pr Koestler sur les lieux des deux catastrophes suivantes donne prétexte à des effets spéciaux assez impressionnants - et à une nouvelle représentation métaphorique du 11 septembre : l'avion qui fonce sur la caméra, les voyageurs du métro hébétés et couverts de poussière.
Malheureusement, la poésie inquiétante s'efface progressivement au profit des gros sabots conjugués de la volonté scénaristique d'expliquer l'inexplicable (le cours sur le déterminisme opposé au hasard renvoyant à la théorie du chaos du Dr Malcolm dans "Jurassic Park"), et de l'envie du réalisateur de justifier son budget en filmant "Rencontre du 7° ou 8° type" et en explosant la Terre mieux que dans "Independance Day".
Autant la première partie de "Prédictions" possède sa propre originalité, et donc un réel attrait, autant la deuxième partie ressemble à un patchwork des blockbusters apocalyptiques de ces dernières années : le garçon médiumnique de "Sixième Sens", le chaos urbain de "Soleil Vert" (référence soulignée par la 7° symphonie de Ludwig Van), la vague de feu de "Armaggedon", et, comme on est jamais mieux servi que par soi-même, les apparitions livides qui rappellent les Etrangers de "Dark City".
Ajoutons à cela le jeu désastreux de Nicolas Cage, tout en crispations de machoire et en postures tétanisées, qui correspond certainement au souhait d'Alex Proyas qui dirigeait déjà ainsi ses créatures gothiques dans son premier film, "Spirits of the Air, Gremlins of the Cloud", et l'on comprendra que "Prédictions", malgré d'indéniables qualités scénaristiques (le sort réservé à Diana, la fin du monde assumée) et plastiques (l'usage de la Red One, une nouvelle caméra numérique HD qui donne une photographie proche de l'argentique), laisse un goût d'inachevé, ce qui est pour le moins un comble pour un film avec un tel sujet.
http://www.critiquesclunysiennes.com