Bien qu'un brin fouillis, Sailor et Lula est une oeuvre notable dans la carrière de David Lynch, galerie interminable de freaks que parcourent deux jeunes qui tendent leur amour comme filet de sécurité pour éviter de céder à leur tour à l'absurde d'un monde glauque et complètement instable. Traité sur le ton du conte (la construction narrative est un pastiche moderne et pseudo-réaliste du magicien d'Oz), Sailor et Lula est pris dans une exacerbation constante, à fleur de peau. Son romantisme outrancier, ses fulgurances violentes et ses personnages hypersexués donnent l'impression que tout s'apprête à exploser. Le couple, quant à lui, n'est pas le duo monstrueux de Natural Born Killers, mais plutôt un tandem paumé à la True Romance, qui agit et ressent sous l'effet détraquant de ce qui l'entoure. Son amour, pourtant presque traité avec un kitch qui rappelle l'insensé de sa force et de ses effusions, se révèle de fait par moments extrêmement beau. Et comme le magicien d'Oz était un imposteur, Lynch ne laisse jamais vraiment oublier que cette passion est aussi illusoire malgré la pureté de ses intentions, et qu'elle demande de s'abandonner en partie pour pouvoir continuer à brûler. Une flamme sans oxygène, un sursis désespéré, voilà ce que partagent Sailor et Lula, qui ne vivent plus qu'à travers elle. Dans cet océan de trouble et de déformation, jaillissent comme souvent des scènes marquantes, de vrais moments de cinéma. Je pense avant tout à celle de l'accident nocturne, bouleversante, à vif. Bref, un nouveau road-movie marquant, comme l'Amérique a su en tourner tant sur ses peurs, ses mystères et sa soif de liberté. De la part de David Lynch, ça n'a rien d'étonnant.