Il faut du temps pour entrer dans le premier film de Jean-Pierre Darroussin, Le Pressentiment. Faute d’un univers visuel vraiment cohérent et personnel, le film nous laisse sur la touche une bonne heure durant. La première moitié du film voit Charles Benesteau, un ancien avocat couper peu à peu les liens avec son milieu d’origine ( principalement la bourgeoisie intellectuelle et d’affaires), mu non par la haine sociale mais plutôt par volonté de commencer une nouvelle vie, à l’écart de ce qu’il avait connu jusque là. A son corps plus ou moins défendant, il se trouve entraîné dans des péripéties qui voient un mari jaloux battre sa femme comme plâtre et la fille de celle-ci (transportée inconsciente à l’hôpital), laissée à sa garde. Les relations entre Charles, sa fille adoptive et une gouvernante de fortune (Valérie Stroh qu’on désespérait de revoir à l’écran, nous qui l’avions tant aimé dans Baptême et Promenades d’été) nous importent guère. Les personnages semblent désincarnés, comme extérieurs à leur propre vie. Et puis, dans son dernier tiers, le film bascule. La petite musique des romans d’ Emmanuel Bove se fait enfin entendre. Il ne s’agit plus d’un homme qui fuit le monde mais au contraire du héros « bovien », simplement en quête d’un peu d’empathie auprès de ses condisciples humains mais ne trouvant sur sa route que calcul, cupidité et inlassable mesquinerie. Chez Bove, la petitesse ne connaît pas de frontières sociales. Les beaux quartiers comme les arrondissements populaires sont contaminés par cette lèpre. Dans le film y échappent uniquement Eugénie, une petite bonne sans papier (concession au politiquement correct ?) et la mère de Sabrina. Chacun ou presque semble se comporter comme si la faucheuse allait délaisser son ouvrage. A l'égal du narrateur de Mes amis, le premier roman de Bove que je vous incite à lire dare-dare, Charles Benesteau est celui qui agit comme révélateur de cette pitoyable condition humaine : « Un homme comme moi, qui ne travaille pas, qui ne veut pas travailler, sera toujours détesté. J’étais, dans cette maison d’ouvrier, le fou, qu’au fond, tous auraient voulu être. J’étais celui qui se privait, de viande, de cinéma, de laine pour être libre. J’étais celui qui, sans le vouloir, rappelait chaque jour aux gens leur condition misérable ».