Le pressentiment
Un film de Jean-Pierre Darroussin
Premier long métrage d'un comédien qu'on peut -- sans indécence aucune -- se permettre de ne plus présenter, ce pressentiment fleurait bon la petite trouvaille. Et c'est le cas, avec une histoire tout en subtilité et mystère.
La caméra de Jean-Pierre Darroussin nous donne à assister à la seconde naissance de Charles Benesteau, avocat de la haute bourgeoisie à la dérive. Charles a tout abandonné, travail, famille, relations, pour aller s'isoler (s’enterrer, serait-on tenté de dire, peut-être un peu trop vite) dans un quartier populaire de Paris. Charles désire avant tout disparaître du monde, de son ancien monde, pour partir à la découverte de nouvelles sensations. Dans sa nouvelle vie, la « vraie », il va pouvoir se consacrer à l'écriture, et s'absorber dans l'art consommé de la contemplation. Avec le nouveau cadre de vie, ce sont de nouvelles préoccupations qui apparaissent, et viennent chambouler l'ordre établi de ses priorités.
Au départ, on ne sait rien de cet homme, qui est une véritable énigme pour ses proches. Détaché de tout du jour au lendemain, Charles a voulu tout laisser tomber. Était-il est dépressif, ou bien un hyper stressé ? On ne le saura jamais vraiment. Toujours est-il que suite à la « disgrâce » qu’il s'est infligé, les rapports avec la famille, pourtant désormais furtifs, se sont dégradés. Mais les frères et soeurs de Charles s'inquiètent en réalité bien moins qu'ils ne sont choqués. Car enfin, quels incroyables mensonges vont-ils être obligés d'inventer afin de justifier l'embarrassante situation qui est désormais la sienne ? Dans la haute société parisienne, le « qu’en dira-t-on » règne toujours en maître.
Derrière son perpétuel air emprunté, Charles découvre un nouvel univers. Chacun de ses gestes est une victoire sur son passé, qui pourtant ne cesse de se rappeler à lui. Jean-Pierre Darroussin interprète son personnage avec une retenue remarquable. En s'ouvrant aux autres, il en vient tout naturellement à chercher le bonheur des gens. C'est au contact de ces autres qu'il s'éveille. C'est tantôt un petit sourire franc qui illumine son visage, d'ordinaire inexpressif, limite abattu, tantôt un regard intense accompagné de petits hochements de tête, vifs, qui expriment l’impatience, ou plutôt l'irritation. Des mimiques que Charles n'a pas dû souvent exprimer, tout au moins avec spontanéité, dans sa précédente existence.
Le parcours de Charles est fascinant. Qu'importe si sa découverte de la vie passe par la sempiternelle médisance des gens, qui vont jusqu'à accuser des pires maux un homme pourtant au-dessus de tout soupçon, parce que tellement détaché de tout, Charles est bel et bien une espèce de bon samaritain. Se sentant enfin vivre, il approche le subjectif concept de bonheur, et cherche dès lors à transmettre sa découverte aux autres. Tout au long du film, le metteur en scène a dirigé sa caméra avec douceur, créant un savant mélange fait de pudeur et du réalisme, tout en laissant la part belle au rêve. Ses comédiens sont au diapason, et remplissent chacun leur rôle à la perfection. Aux côtés d’Hippolyte Girardot, Valérie Stroh et Nathalie Richard composent deux portraits de femmes qui ont côtoyé Charles, ont essayé de le comprendre, sans jamais vraiment y parvenir. Au final, le comédien devenu réalisateur laissera aux spectateurs une étrange impression. Celle d'avoir accompagné les premiers pas d'un homme qui se retrouve, enfin, pour être en paix avec lui-même, peut-être un peu trop tard, peut-être pas.