Présenté dans de nombreux festivals, Gardien de buffles a notamment décroché le Prix de la Jeunesse au Festival de Locarno.
Le chef-opérateur Yves Cape évoque le travail avec les buffles : "Dans l'histoire, il y a deux buffles "personnages" et environ 300 buffles "figurants". Pour les personnages, nous avons choisi des bêtes gentilles et placides avec lesquelles nous avons pu faire à peu près tout ce qu'on voulait. Quant aux "figurants", vu que leur nombre nous interdisait de les diriger, nous les avons filmés par groupe de 20 ou de 40 selon la largeur des plans. Pour la vue panoramique où ils sont 300, nous avons posé notre caméra à un endroit déterminé, on a fait partir les buffles à environ deux kilomètres de l'objectif, on les a laissés venir jusqu'à ce qu'ils rentrent eux-mêmes, à leur rythme, dans le cadre..."
Le cinéaste revient sur l'omniprésence de l'eau dans son film : "L'eau est normalement un symbole de la purification et de la vie, elle est ici associée à la mort et à la pourriture. En même temps, le poisson et le riz, deux des sources de nourriture essentielle, viennent de cette même eau. Elle est une métaphore mixte pour la vie et la mort, opposées mais inséparables. Elle symbolise aussi le temps qui passe : le temps réel, qui est associé à la décomposition des plantes et des cadavres qui rend l'eau si boueuse ; et le temps historique avec le passage de la guerre, la colonisation, la disparition d'un mode de vie..."
Pour les spectaculaires scènes d'averse, l'équipe du film a eu recours à des trucages, car lorsqu'il pleut au Vietnam, la visibilité est quasi-nulle. Le chef-opérateur a employé les rampes à pluies dont s'était servi Jean-Jacques Annaud pour le tournage de L' Amant en 1991. Pour circuler sur l'eau, deux barges spéciales ont été conçues, à partir de trois pirogues traditionnelles, sanglées avec des battants : le matériel comme les techniciens pouvaient ainsi se retrouver sur cette plate-forme de trois mètres sur six.
Coproduction franco-belgo-vietnamienne, Gardien de buffles est inspiré d'un recueil de nouvelles, Parfum de la forêt de Ca-Mau, signé par l'écrivain vietnamien Son Nam.
Né en 1956, Nghiem-Minh Nguyen-Vo grandit pendant la guerre dans une petite ville du Vietnam, située près d'un aéroport militaire américain. Chaque semaine, il découvre un film étranger dans l'unique salle de cinéma de la ville. Titulaire d'une bourse, il part étudier en France, à l'Université de Poitiers. Il y décroche un diplôme d'ingénieur, avant l'intégrer l'UCLA de Los Angeles : il obtient un doctorat en physique appliquée, dans le domaine de l'optique, puis s'oriente vers le cinéma : il signe un court-métrage, un documentaire, puis ce Gardien de buffles son premier long métrage de fiction.
Nghiem-Minh Nguyen-Vo précise la place qu'occupe le buffle dans la civilisation vietnamienne : "Le buffle d'eau est essentiel pour la production du riz, il doit être conduit très loin pour trouver de l'herbe pendant la saison des pluies. C'est à la fois une marchandise de la plus haute valeur et le seul allié de l'homme dans cette nature très hostile. Pour les Vietnamiens et les Khmers de la région, il est devenu un animal sacré, un "dieu" qui, après sa mort, a le pouvoir de protéger les hommes (...) Cette mythologie a des racines très anciennes en Asie du Sud-Est, et elle a été incorporée plus tard dans une forme locale du bouddhisme. Le buffle y est bodhisattva, c'est-à-dire quelqu'un qui n'a pas atteint le statut divin, une sorte de saint, d'intermédiaire etre les hommes et Bouddha. Voilà pourquoi, traditionnellement, les paysans ne mangeaient pas sa viande."
Lorsqu'on l'interroge sur les films qui l'ont influencé, le cinéaste cite Rashomon et Ran de Kurosawa, La Femme des sables de Hiroshi Teshigahara, Le Miroir de Tarkovski, Huit et demi de Fellini, L'Avventura d' Antonioni et Fin d'automne d'Ozu.
Gardien de buffles a été produit entre autres par 3B, une société qu'avait créée en 1991 le cinéaste Rachid Bouchareb -associé à Jean Bréhat et Muriel Merlin- pour financer son film Cheb. Depuis, 3B a produit plusieurs longs métrages, en particulier de jeunes réalisateurs : citons La Vie de Jesus et L'Humanité de Bruno Dumont, Vivre au paradis de Bourlem Guerdjou, Petite chérie d'Anne Villacèque ou encore Baboussia de Lidiya Bobrova.