Les Affranchis, grande fresque abrupte par Martin Scorsese sur le crime organisé du New-York des années 70, 80, film didactique autant que romancé qui nous fait côtoyer gangsters uniquement, sans le moindre compromis. Chef d’œuvre inscrit au panthéon d’un cinéma contemporain, toujours emprunt de l’esprit de ses aïeux, le film de Scorsese ne vieillit jamais, ne faiblit jamais. La collaboration entre le réalisateur, petit asthmatique et génie de Little Italy, et l’écrivain Nicholas Pileggi donne naissance à une véritable référence cinématographique qui n’a nulle autre prétention que son indépendance en rapport au romantisme noir du Parrain de Coppola. Brutal, violent, sans la moindre fioriture, le film n’accède jamais au statut de mélodrame, de recueil moralisateur, usant et abusant d’une décadence anticonformiste qui fait un bien fou à celui qui prend le temps de se pencher sur les destinées de ses bras cassés à la solde de mafieux rompus aux vieilles ficelles.
Avant d’accéder au trône, c’est d’abord la rue qui attend nos apprentis gangsters. D’années en années, les petits truands prennent du galon, prétendant qu’ils sont à la succession des boss derrières leurs affaires implacables. Toujours plus immoral, toujours plus avars, Henry, Jimmy et Tommy iront jusqu’au bout des choses, surpassant l’autorité qu’ils se sont octroyées, dénigrant les conseils des plus avisés, usant d’une violence sans retenue du simple fait du maintien d’un respect hypothétique. D’une combine réglée comme du papier à musique, les gangsters auxquels s’intéressent ici Scorsese iront bien trop loin, l’histoire d’un aller sans retour, en somme. Du racket, de la contrebande, nos gars passeront à la drogue, à l’assassinat, sans le consentement des chefs. Mais avant que les choses ne dégénèrent pour tous, Martin Scorsese dresse un portrait hautement captivant d’une jeunesse qui voie en le mode de vie des affranchis italo-américain l’Eldorado qu’une vie rangée ne pourra jamais leur offrir.
Si la voix-off, utilisée d’avantage encore sur Casino, est bel et bien présente du début à la fin, son utilisation rationnelle n’entrave jamais la bonne lecture du film, rythmé, progressif, empilement de faits d’armes irrationnels et de magouilles toujours plus lucratives. Alors que Ray Liotta dévoile au monde entier ses talents d’acteur, son rôle de Henry Hill était à jamais la prestation de sa carrière, s’est bel et bien le tandem Robert De Niro et Joe Pesci qui sort vainqueur des hostilités. Oui, si le premier ne fait que confirmer son excellence, toujours professionnel, le regard froid, le second explose littéralement, courant à toutes jambes vers un Oscar amplement mérité. Joe Pesci transcende le film de Scorsese en imposant son statut de petit nerveux aussi pugnace que déterminer à faire de sa destinée quelque chose de tragique. Qu’il assassine, tabasse ou se fout de son prochain, l’acteur le fait toujours tellement bien que les poils se dressent sur nos nuques. Oui, l’homme est immoral, il jure d’avantage qu’il ne communique, mais qu’il est jouissif de voir l’acteur improviser ses répliques cultes, à faire froid dans le dos.
Hormis les prestations sublimes du trio principal, notons accessoirement que les Affranchis est une vitrine étonnante de tronche du cru que Scorsese est allé pêcher dans tous les coins de rue. Le film se veut plus immersif que n’importe quel film du même acabit, pour la simple raison que Marty ne lâche jamais de leste, qu’il lorgne toujours vers une conclusion que l’on devine laborieuse et ce sans que le public ait à redire sur les détails qui lui sont exposés continuellement. Culte, indémodable, Goodfellas est sans doute l’un des plus grands succès du réalisateur, si ce n’est son meilleur. ‘’D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours rêver d’être un gangster’’. 19/20