L'ère des grands studios n'est plus. On peut trouver milles choses justes à redire sur cette époque, on peut célébrer avec justesse le miracle du nouvelle hollywood, mais ce modèle d'organisation fermée très structurée, stricte, où le réalisateur n'était pas auteur, lorsque bien exploité, pouvait produire des films admirables. C'est le cas ici. Il s'agit il est vrai du plus ambitieux (pour le spectateur) des studios: la MGM. La MGM qui avait embauché comme producteur un certain Manckiewicz. Je ne sais pas le détail de ce qu'il faut mettre à son crédit, le premier pourrait d'avoir su réunir tant des personnes remarquables sur ce projet, mais il est certain qu'il s'agit d'une oeuvre où l'on retrouve toute son exigence, son esprit, son intelligence. Le regard porté sur chaque personnage, simple et exemplaire, est d'une humanité si parfaitement tenue. Ces trois Camarades, cette femme, ce qui les unit (le respect de chacun, une amitié indéfectible qui prévaut sur la passion amoureuse) est d'une singularité rare (je mettrais en vis à vis le Canterbury Tales de Powell, qui réunit aussi des personnes de sexe distinct de ce même rapport d'individu). Les dialogues, comme le propos général, sont exemplaires pour leur intelligence et leur acuité. Oui la ligne mélodramatique est appuyée. Cette signature peut être jugée désuète (10 minutes pour mourir de la plus noble des façons). Oui certain le film, bien que sur certain point d'une modernité de ton toujours exemplaire, est daté sur d'autres. Mais c'est aussi son charme. Charme d'une époque révolue dont on pourrait regretter certaine saveur devant l'indigence de la majorité des productions de grands studios (lire "banque") d'aujourd'hui.
Et la très rare miss Sullavan, pour qui connait son destin, est avec la distance du regard l'actrice la plus parfaite pour ce rôle.