C'est un film de guerre, c'est indéniable mais il n'y a pas que ça : ce film est bien plus qu'un film de guerre, avec des personnages qui ont une histoire, une profondeur. C'est sûrement pour cela qu'on est autant ému entre les scènes de bataille. Alors, bien sûr, le film peut paraître maladroit pour certains (répétition de scènes horribles jusqu'à plus soif et absence de vision politique de la guerre) mais pour un soldat de base de l'armée qui a arrêté l'école très jeune (le personnage principal sur lequel le réalisateur du film a choisi de centrer sa vision de la guerre), les scènes de combat étaient la réalité quotidienne et les décisions des politiques et des généraux étaient, elles, totalement absentes de ce quotidien. Pour ceux qui n'ont pas une grande connaissance de la guerre de Corée, ce n'est pas une « petite » guerre comme les guerres récentes du golfe persique, c'est une guerre qui a fait près de 4 millions de morts dont, excusez du peu, la moitié de civils ! Voici maintenant, dans le détail, ce qui différentie ce "blockbuster" coréen des nombreux "blockbusters" hollywoodiens.
La scène du flashback initial est originale : en effet, pour une fois, elle ne nous dévoile pas la fin de l'histoire comme c'est souvent le cas dans le traitement hollywoodien de ce type de scènes (souvenez-vous de "Titanic", "Attrape-moi si tu peux" (Catch Me If You Can) ou de "Le Fantôme de l'Opéra" (Phantom of the Opera) où l'on ne s'inquiétait pas pour le héros/l'héroïne pendant le film puisque on le voyait libre et en pleine forme dans la scène initiale du Flash-Back, ce qui était donc préjudiciable pour le suspense. Dans "Frères de Sang", on apprend en même temps que le fils cadet Jun-Suk est à la fois vivant et retrouvé mort ... On imagine donc de nombreuses possibilités toutes plus farfelues les unes que les autres comme l'usurpation d'identité en conservant l'intégralité du suspense pendant toute la durée du film
. A l'heure du tout numérique et des effets spéciaux à outrance, l'utilisation de 25 000 figurants dans ce film apporte un surcroît de réalisme auquel on n'est plus habitué. L'attaque des 100 000 soldats chinois et la débâcle des régiments sud-coréens est ainsi mise en scène avec brio. Avant de voir ce film, j'avais lu quelques critiques où l'on comparait "Frères de Sang" à "Il faut sauver le soldat Ryan" (Saving Private Ryan). Or, cette comparaison n'est pas très opportune. En effet, là où "Il faut sauver le soldat Ryan" avait concentré son ultra réalisme dans une scène d'ouverture d'anthologie où l'on suivait de très près l'impact des balles lors du débarquement, ce en quoi il était un précurseur dans le genre, "Frères de Sang", lui, enchaîne les scènes de guerre, chacune plus réaliste que la précédente. La caméra posée au sein même de l'explosion des bombes décuple la sensation pour le spectateur d'être immergé au cœur de l'action. Mais, hormis ce réalisme dans les scènes d'action où "Frères de Sang" suit les traces de "Il Faut Sauver le Soldat Ryan", l'histoire et la vision de la guerre, elles, sont totalement différentes. Ainsi, l'histoire du film de Spielberg, naïve et hautement improbable (sauver un simple soldat pour que sa mère n'apprenne pas le décès de ses 4 fils en même temps), et la fin digne des happy ends hollywoodiennes s'emboîtent parfaitement dans une ligne directrice de l'armée américaine où les gentils américains combattent tous seuls (où sont leurs alliés des autres nations ?) les méchants allemands. Dans "Frères de Sang", il y a moins de manichéisme
(le héros doute de la moralité de sa fiancée et il choisira son camp, non en fonction de ses valeurs ou de critères politiques mais au fil des circonstances)
, plus de réalité historique (les sud-coréens et les américains combattent conjointement les nord-coréens et les chinois) et plus d'autocritique de l'armée sud-coréenne
: le gouvernement sud-coréen laisse mourir de faim ses concitoyens quand les communistes, eux, donnent à manger à leurs sympathisants - ce qui fait sourire quand on connaît la situation actuelle pour la population en Corée du Nord -, les nord-coréens tuent les civils sans procès, les sud-coréens aussi qui, en plus, torturent ou achèvent leurs prisonniers.
Mais le grand enseignement du film est que la guerre change les gens
: deux amis, avant la guerre, se retrouvent confrontés, dans 2 camps différents, à des choix difficiles
. Toutes ces réflexions sont absentes des films de guerre à la sauce hollywoodiennes où la critique de l'armée et la stupidité de ses ordres a disparu depuis l'excellent "Les Sentiers de la Gloire" (Paths of Glory) (1957) de Stanley Kubrick avec Kirk Douglas ... dans lequel les américains critiquaient l'armée française ! En conclusion, préférez la vision coréenne de la guerre aux films hollywoodiens récents où la réalité est matinée de propagande. J'attends d'ailleurs avec impatience les premiers films américains sur la dernière guerre en Irak !