Frères de sang
Un film de Kang Je Gyu
Avec pour décor la guerre de Corée, le sud-Coréen Kang Je Gyu filme bien sûr l’atrocité d’un conflit, mais aussi, et surtout, les chemins contraires que vont emprunter à cette occasion deux frères entraînés dans l’enfer bien malgré eux.
Jusqu’en juin 1950, Jin-Tae et Jin-Suk coulaient des jours heureux et insouciants, dans leur Corée du Sud natale. Comme nous le montrent les premières images avec une bonne touche de naïveté, les préoccupations des deux jeunes hommes n’étaient alors pas vraiment de manifester un patriotisme convaincu. L’entrée en guerre va changer cela. Pris dans le tourbillon de la folie guerrière, l’un et l’autre vont devoir faire face aux événements chacun à leur manière. L’aîné, Jin-Tae, va peu à peu se laisser aspirer dans une spirale meurtrière, tandis que le cadet, Jin-Seok va s’enfermer dans un dégoût qui le fera progressivement s’éloigner de son frère.
La naïveté bien pardonnable des premières scènes ne laisse augurer en rien de la teneur de la suite. Le metteur en scène a su filmer les horreurs et les absurdités de la guerre avec un réalisme que ne renierait pas le Private Ryan de Steven Spielberg. Les images sont saccadées, le montage nerveux, et la musique renforce le poids du propos. La métamorphose de l’aîné, que l’on sent de manière confuse dès les premières images, n’en est pas moins brutale et révélatrice de sa vraie nature. C’est d’ailleurs surtout à son jeune frère qu’il va se révéler.
Jin-Tae va en effet rapidement devenir une machine à tuer bien huilée, mais une machine à tuer un brin particulière puisque animée par un instinct protecteur très fort. Pour Jin-Tae, tout ce qu’il fait doit permettre de garantir la survie de son jeune frère. Tout ce qu’il accomplit, tous ses hauts faits d’armes n’ont qu’un seul et unique but : ils doivent contribuer à la démobilisation de Jin-Seok. Jin-Tae va alors multiplier les actions d’éclat, les offensives suicidaires afin de se distinguer et pouvoir monnayer le retour de son frère à la vie civile.
Dans sa fresque sanglante, Kang Je Gyu n’a rien oublié. De la folie de la propagande à l’hystérie des jeunes soldats, en passant par les dérives de la police politique, tout y passe. Aussi noir qu’il peut l’être, le spectacle emmène l’audience au milieu de champs de bataille peuplés de cadavres en devenir et d’hommes transformés en bêtes sauvages. Pas la moindre trace d’espoir dans ce tableau ; à peine le contexte semble-t-il s’éclaircir qu’il s’assombrit à nouveau. Les Américains n’ont-ils pas décidé de prêter main forte à la Corée du Sud ! La fin du conflit serait donc proche. Mais c’est sans compter l’entrée en guerre du voisin géant, la Chine, qui elle, vient se ranger du côté des Nords-Coréens. Les déchirures perdurent, et n’auront de cesse de séparer deux frères pourtant si terriblement proches l’un de l’autre.
Avec Frères de sang, Kang Je Gyu a réalisé un film qui n’est pas sans rappeler la fougue dont était capable un certain John Woo à ses premières heures. En se concentrant sur le destin de deux frères inséparables, le metteur en scène nous renvoie à l’épopée brutale des trois gamins d’Une balle dans la tête, il y a quinze années de cela. Une comparaison flatteuse, à laquelle il faut ajouter le caractère historique du contexte, et notamment sur un pays qui n’en finit pas d’être déchiré.