Les producteurs qui ont misé sur ce film (Alain Goldman notamment) ont sans doute voulu surfer sur la vague des "Biopics" comme "Ray" ou "Walk The Line". Parmi les figures imposées de ces biographies venues d'outre-Atlantique, on retrouve la place accordée aux traumatismes de l'enfance et le rôle de la drogue dans la déchéance du personnage. Là s'arrête la comparaison, car malgré la proportion de scènes se déroulant aux Etats-Unis (volonté de le vendre là-bas ?), il s'agit d'un film bien français.
Par la nature même du cadre de l'histoire tout d'abord, et surtout par le traitement qui en est fait. Olivier Dahan est un plasticien de formation, et son univers visuel particulier marquait déjà "Le petit Poucet". Ici, il louche du côté de Brassaï, de Francis Carco et du réalisme poétique du cinéma français d'avant-guerre, et ses maisons closes, ses caboulots et ses cabarets évoquent plus des décors de théâtre que des reconstitutions naturalistes.
Par les personnages ensuite, qui sont ceux de l'histoire de la France du siècle dernier : Cerdan, Cocteau, Coquatrix, Marlène Dietrich, même si la grande histoire n'effleure jamais le scénario, la seule évocation de la seconde guerre mondiale étant l'uniforme de piou-piou de Michel Emer venu lui présenter son "Accordéonniste". Ce défilé des guest-stars n'est pas toujours filmé avec la légèreté nécessaire, et cela nous vaut des dialogues du style "C'est grâce à la puissance de la radio, mon cher Coquatrix ! - Mais aussi au charme du Music-hall, mon cher Canetti !"
Olivier Dahan a choisi de raconter la vie de Piaf avec des flash-backs imbriqués les uns dans les autres ; cela a le mérite de rompre avec une linéarité trop conventionnelle, mais il en use malheureusement un peu trop pour faire des raprochements didactiques entre ces différentes périodes et expliquer par le montage, au cas où cela nous aurait échappé, que l'amour de la chanson, découverte dans la bouche d'une fille de joie, n'a fait que suppléer l'absence d'amour d'une mère... On frise même parfois le ridicule comme l'apparition de Sainte-Thérèse, heureusement plus papillonnante et moins sulpicienne que celle de Jésus dans "World Trade Center", ou la répétition des scènes d'alcoolisme d'Edith et surtout de Momone. Mais il y a aussi des passages très réussis, comme la rencontre entre Edith et Marcel, ou le plan-séquence de cinq minutes au moment de l'annonce de la mort de Cerdan.
Reste LA question : et Marion Cotillard ? La réponse est claire : à elle seule, elle justifie le déplacement pour aller voir "La Môme". On a beaucoup parlé des six heures quotidiennes de maquillage ou du travail de coaching autour de la voix. C'est vrai, c'est impressionnant, et en arrive à oublier le visage même de Cotillard ; mais le plus époustouflant est certainement la cohérence de l'ensemble. Je ne sais pas si Piaf avait cette démarche cassée dès la jeunesse, si son parler était aussi gouailleur ; cela n'a pas d'importance, car Marion Cotillard impose sa vision du personnage, et particulièrement toute sa gestuelle : le fait d'avoir dû laisser sa voix à Piaf sur les chansons explique peut-être pourquoi et comment elle a adopté ce jeu proche de celui du cinéma muet.
Elle a déclaré "Quand vous faites une composition comme cela, la frontière est très fine entre le trop et le pas assez. Un peu trop, vous êtes ridicule ; pas assez, vous êtes en dessous de l'énergie de Piaf." Une ou deux fois, elle est peut-être dans le un peu trop, mais cela passe justement grâce à cette énergie qui nous emporte. Destiné au grand public et promis au succès au box-office, "La Môme" a toutes les qualités et les défauts d'un film populaire ; la composition de Marion Cotillard en fait quelque chose de plus, à l'instar d'un "Rain Man" ou d'un "Monster" où ce qui reste longtemps après avoir vu le film est le souvenir d'une performance exceptionnelle.
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