Robert Zemeckis est un réalisateur qui ne chôme pas. Fer de lance de l'expérimentation cinématographique dans les années 80 aux côtés de Steven Spielberg et de Joe Dante, il continue d'exploiter des techniques à la pointe du progrès, se faisant désormais premier défenseur du performence capture. Après un magnifique Pole Express très divertissant et procurateur de sensations vertigineuse, il continue son exploration des possibilités de cette technologie en abandonnant cette fois le conte de Noël pour enfant au profit d'une œuvre inspiré de la mythologie nordique beaucoup plus sombre sous ses apparences trompeuses de blockbuster familial...Débutant par une scène d'orgie dans la grande salle du roi Hrothgar, les charpentes de la bâtisses sont immédiatement implantés, esquissant un profil général du ton de l’œuvre : peu conventionnelle, sombre, torturée, remplie de choses peu recommandables aux enfants à commencer par cette surexposition d'ébats en chaleurs dans cette débauche de sexe et d'alcool (ça n'a vraiment rien à voir avec les festins victorieux d'Astérix & Obélix). Ainsi le tableau dressé correspond bien à l'âpre démesure des légendes nordiques, épiques mais sillonnées de travers sous-jacent peu glorieux, endurcies par la glace insoluble des paysages comme des psychologie. Rien n'a été épargné, et c'est tant mieux. Les hauteurs enneigés sont splendides, mais Zemeckis n'hésite pas à les remplir de sang pour respecter les anciens écrits. Les fulgurantes séquences d'actions, réalisés avec une main de maître, se permettant une flopée de plans fracassants les codes habituels de la mise en scène (le carnage de Grendel, où le géant est filmé détruisant tout autour de lui par une caméra virevoltante toujours centrée sur le monstre), sont entrecoupées de scènes très calme, silencieuses et lentes, dont le rythme relève d'une autre époque cinématographique. Une fragile dimension romantique, minimaliste et très douce, est instaurée de la meilleure manière qui soit, seyant parfaitement à ce conte guerrier et sanglant. Par ailleurs, cela permet également à Zemeckis de peaufiner son atmosphère mythique, nous plongeant davantage dans ce monde obscur et dangereux. On entend une bûche craquer, les hommes discutent à voix basses en attendant le démon de la nuit et l'inquiétude règne. L'ambiance moyenâgeuse n'est pas construite seulement à travers de gros décors encombrants, elle l'est aussi par son austérité, sa dureté. La musique d'Alan Silvestri s'inscrit parmi ses meilleurs thèmes, tant il sait jongler entre l'épique lors de l'époustouflant final (un peu l'équivalent du plan-séquence de Bagghar dans Tintin de Spielberg, 5 ans auparavant...) et le mystère dans la grotte. Évoquant de la légende du roi Arthur que nous connaissons tous (l'amour entre Merlin et Vivianne), la mise en avant de la séductrice mortelle qui tue son amant en lui faisant subir une lente agonie éthique donne un caractère infini à cette épopée tragique qui se referme sur un cercle vicieux et éternel. Une conclusion pessimiste qui achève d'élever Beowulf au rang de pur morceau de bravoure sur pellicule, sans concession ni courbette envers quiconque. Les louanges étaient d'autant plus mérités qu'en ces temps où les producteurs et leurs cahiers des charges règnent sur l'industrie cinématographique à gros budget, les films aussi « indépendants » que Beowulf n'existent quasiment pas à l'état de grand spectacle. L'accueil hostile de la part du public était prévisible, on pouvait facilement s'attendre à une réception similaire à celle de Batman Return en 1992 pour les mêmes raisons. Quant à la presse, elle n'a pas apprécié la technique employée de performance capture, qui était encore trop rare, et a pertinemment remarqué la ressemblance agaçante avec un jeux vidéo, chose qui sera désormais inévitable pour la postérité, alors que les accomplissement graphiques vidéo ludiques dépassent déjà les prouesses effectuées en 2007. Cependant, quelques journaux (comme Mad Movies, tiens donc) ont su voir plus loin que le bout de leur nez, plus loin que la forme, certes contestable, mais intéressante, de ce Beowulf, pour en mesurer toute l'ampleur stylistique (la forme artistique du film derrière sa forme purement technique) et le modernisme. Un très grand film, malmené pour le même type d'égards que Bilbo le Hobbit mais à bien plus grande échelle, proportionnelle à une position bien plus extrême sur le fil de l'aiguille, et j'espère sincèrement que les années lui rendront justice.