Sur la scène de l’Espace Lac, les cinq comédiens principaux avaient attiré de nombreux objectifs, suscité une déferlante de flashs, pendant que le (très) jeune metteur en scène expliquait à un public peu habitué à ce genre de discours sa conception de la fête, ou comment réaménager une salle de cinéma en moins de cinq minutes. Cette fougue, on la retrouve dans le film, parfois mal canalisée, mais pourtant tellement sincère, dénuée de toute arrière-pensée, si ce n’est celle de séduire un public devenu léthargique. Alors bien évidemment, le réalisateur n’a pas pu éviter certains défauts de conception. Du haut de ses 25 ans, il n’est pas toujours parvenu à juguler une bonne dose d’immaturité, mais peut-on réellement le lui reprocher, puisqu’elle est celle de ses personnages ?
Quelque part dans une de ces Cités parisiennes devenues si tristement célèbres, trois jeunes hommes se morfondent un tantinet dans une boîte de nuit. Le groupe –qui respecte la diversité ethnique, le premier étant caucasien, le second black et le troisième asiatique- ne cherche pas les ennuis. Mais l’alcool aidant, la lascivité des filles évoluant sur la piste va faire son effet, en attirant le regard du plus chargé des trois, Bart. Après une embrouille aussi soudaine que brève, le trio va se retrouver dehors, mais pas tout seul. Au cours de l’échauffourée, les garçons ont réussi à s’attirer les bonnes grâces de deux charmantes demoiselles. Eve et Yasmine. Eve leur propose alors de continuer la soirée non loin de là, dans sa maison de campagne. Comment refuser ?
Lors de cette présentation, le spectateur avait déjà pu savourer des figures plus vraies que nature (une mention spéciale pour Olivier Barthelemy, dans le rôle de Bart). Mais que dire alors de la suite ! Arrivés à destination, le groupe va faire la connaissance de Joseph (magistral Vincent Cassel, qui a heureusement su vaincre les énormes difficultés qu’il éprouvait à rentrer dans son rôle les premiers jours), le gardien de la maison de campagne. Et du reste de sa famille, ou de ses voisins, on ne sait pas trop. Celle-ci semble porter les stigmates d’un accouplement anarchique, et pour cause. L’escapade prenait jusqu’alors des allures bucoliques. Elle emprunte désormais une toute autre voie. Pourtant pas forcément gâté par la nature, le trio de départ semble sorti d’un autre monde, égaré au milieu de trognes aussi improbables qu’inquiétantes.
C’est peut-être en effet là que réside l’intérêt majeur de Sheitan, celui d’avoir fait appel à une équipe essentiellement non-professionnelle. Au cour d’une histoire qui fait beaucoup appel au vécu, les interprètes n’ont pas eu besoin de jouer ; ils n’ont pas eu à faire semblant, ils n’ont eu qu’à être, qu’à répéter des instants maintes fois traversés, qu’à rejouer des scènes ô combien familières. Chacun y va de sa petite touche personnelle, contribuant à donner au film –surtout dans le premier tiers- de faux airs de reportage. Car lorsque Joseph et sa clique s’imposent, crevant l’écran, le film accède véritablement à une nouvelle dimension. Un petit quelque chose du Délivrance de John Boorman qui, ajouté à un zeste des Chiens de Paille de Sam Peckinpah, donne au récit des allures de descente aux enfers.
La soirée avait plutôt mal commencé. Mais, après tout, rien de vraiment terrible n’était arrivé à ces jeunes en mal de sensations fortes. Une virée en boîte de nuit écourtée parce qu’elle a dégénéré, on l’a tous vécu, ou on y a assisté. Mais la suite est d’un tout autre tonneau. La menace se met en branle insidieusement. Kim Chapiron a mis consciencieusement ses ingrédients en place. Tout y est, des consanguins effrayants aux décors glauques (on pense à des natures mortes), en passant par l’absence de toute civilisation des kilomètres à la ronde. Le décor est planté, Joseph peut commencer à affûter ses couteaux si particuliers.
Avec sa caméra, le metteur en scène saisit les moindres nuances qu’expriment ses personnages. Ces derniers en paraissent d’autant plus réalistes, humains (même celui de Joseph, c’est dire !). Ce ne sont pas de mauvais garçons, pas des exemples non plus, mais on finit pas s’attacher à eux. Ils débordent d’une telle énergie que le spectateur ne peut se résoudre à en perdre une miette.
Dans Sheitan, le moindre petit détail fait plaisir. Comment en effet ne pas savourer les apparitions de François Levantal, qui interprète ici deux rôles pas si anecdotiques que cela ? Gérant d’une station d’essence dans le premier, il se délecte de vieux films d’horreur avec une gourmandise bien sympathique. On apprécie. Et quand sur la fin il apparaît en médecin de garde d’une bien étrange clinique, la boucle est bouclée. Aux côtés de Roxane Mesquida, Leïla Bekhti, Nico Le Phat Ta, Olivier Barthelemy, Ladj Ly et Julie-Marie Parmentier, il complète une galerie aussi riche qu’irréprochable.
Excepté un final un brin convenu, qui renvoie à la veine actuelle en proposant une relecture de l’histoire (une mode qui nous vient d’Asie, peut-être